24.6.08

Michael Privot : 'La crédibilité de l'EMB est réduite à néant'

Entretien avec Michael Privot, islamologue

Publié sur Saphirnews le 24 juin 2008. Voir aussi un autre article basé sur une interview publiée récemment dans le quotidien français La Croix. Je fais une pause dans la publication d'articles précédents pour plonger à nouveau dans l'actualité. Cela me permettra également d'enchaîner avec la publication d'autres petits articles liés à la question de l'EMB.

L'Exécutif des musulmans de Belgique traverse une ènième crise et Saphirnews a choisi de donner la parole à l'islamologue belge Michael Privot, afin d'en connaître les tenants et aboutissants. Entretien.

Saphirnews : Pouvez-vous vous présenter ?
Michael Privot
: Je suis islamologue, membre du Conseil d'Administration et porte-parole d'une des plus grandes mosquées reconnues officiellement par l'Etat belge. A ce titre, je suis également directement impliqué dans la problématique de l'institutionnalisation de la représentation des musulmans de Belgique depuis plusieurs années.

Quelle est cette nouvelle crise qui secoue l'Exécutif des musulmans de Belgique ?
M. P. : La crise actuelle (qui vient de s'achever – provisoirement ? – lors de la dernière Assemblée générale de ce vendredi 13 juin) ne constitue qu'un énième avatar des élections du 20 mars 2005. Ces élections avaient été fortement soutenues et encouragées par le Ministre de la Justice et des Cultes de l'époque. Elle avaient eu pour résultat notable de conférer une forte représentation aux tenants d'un islam proche des ambassades, tant du côté des populations d'origine turque que marocaine, les deux populations musulmanes majoritaires en Belgique (grosso modo, 60% de personnes d'origine marocaine, 30% de personnes d'origine turque et 10% de personnes de toutes origines, y compris les convertis, composent la communauté «musulmane» de Belgique dont les estimations numériques varient entre 400 et 500 000 individus).

Du fait du boycott des élections de 2005 par une partie importante de la population d'origine marocaine qui s'opposait à la tenue même d'un processus électoral dans les conditions difficiles qui étaient celles de l'époque, et ce pour des raisons multiples qu'il serait trop long d'expliquer ici, les représentants d'origine turque liés à la fédération de la Diyânet (DITIB – l'administration en charge du culte, directement dépendante d'Ankara) sont devenus le groupe le plus important d'une Assemblée générale composée de 68 membres. Assemblée au sein de laquelle sont élues les 17 personnes qui constituent l'Exécutif des Musulmans de Belgique, seul organe reconnu officiellement par l'Etat belge pour la « gestion du temporel du culte musulman ».

Du côté des élus d'origine marocaine, il n'y a pas de fédération de ce genre, mais un réseau d'influence beaucoup plus difficile à circonscrire et passant parfois par les canaux confréristes. Celui-ci est toutefois aussi efficace quand il s'agit de défendre un certain nombre d'intérêts strictement communautaires (au sens ethnoculturel du terme cette fois-ci).

Que s'est-il passé après les élections de 2005 ?
M. P. : Dès le départ, ces 2 groupes proches de leurs ambassades respectives et désormais majoritaires au sein de l'Assemblée générale se sont alliés pour contrôler toute la structure. Et pour cause, les enjeux étaient – et sont toujours – de taille :
  1. Reconnaissance officielle des mosquées par l'Etat belge (par l'intermédiaire des Régions wallonne, flamande et bruxelloises compétentes en matière de lieux de culte), impliquant le subventionnement de leur déficit annuel en matière d'entretien et de frais de fonctionnement,
  2. Reconnaissance corollaire de leurs imâms qui deviennent alors ministres du culte et fonctionnaires rémunérés par le Ministère de la Justice et des Cultes, comme le sont prêtres et rabbins,
  3. Contrôle des désignations des enseignants de religion musulmane dans les écoles publiques et détermination du curriculum,
  4. Quelques dossiers annexes comme la désignation des aumôniers de prison et hôpitaux, etc.
A l'heure où la question de la formation d'imâms « indigènes » en fonction de curricula répondant aux attentes de nos sociétés sécularisées devient de plus en plus pressante, des fédérations telles que la Diyânet qui importent directement de Turquie leurs imâms ne pouvaient prendre le risque de laisser d'éventuelles négociations en dehors de leur contrôle. Pareil pour la question du subventionnement des mosquées. Les autorités marocaines, quant à elles, ne pouvant toujours pas se résoudre à laisser s'autonomiser leurs ressortissants résidant à l'étranger au vu de la rente financière importante qu'ils représentent pour l'économie marocaine dans son ensemble, ont également tout intérêt à contrôler le discours religieux auquel sont soumis leurs ouailles et éviter tout discours qui insisterait sur la création d'un islam ancré en Europe quant à ses références. Celui-ci risquerait peut-être de détourner les fidèles d'une attache affective, mais surtout financière, avec le pays d'origine au fur et à mesure du passage des générations.

Dès lors, entre jeux de pouvoirs continus et absence singulière de bonne gouvernance (népotisme dans les nominations, abus de biens sociaux,…), l'EMB a été contraint de démissionner début 2008 par un vote de défiance de l'Assemblée générale faisant suite à une série d'inculpations de certains de ses membres. Il n'avait que peu d'éléments positifs à son bilan en dehors de la reconnaissance partielle d'une soixantaine de mosquées en Belgique (sur un total de près de 360).

Un nouvel EMB a été ensuite élu...
M. P. : Un nouvel EMB, issu de la même Assemblée générale, fut élu le 14 mars. Bien qu'il ait fait place à quelques jeunes réformateurs de toutes origines – dont la Vice-présidente Isabelle Praile, convertie et shî‘ite –, le fait que la Présidence de l'EMB soit toujours occupée par un affilié à la Diyânet et que des proches des réseaux consulaires turcs et marocains en soient toujours membres, a replongé l'EMB dans des enjeux de pouvoir et de représentation, alors que le financement de l'EMB sera définitivement arrêté en mars 2009. La structure actuelle n'a donc plus que quelques mois pour attaquer les trois chantiers prioritaires suivants :
  • avancer substantiellement dans le dossier de la reconnaissance officielle des mosquées et des imâms,
  • lancer une réflexion en profondeur sur la problématique de la représentation des musulmans de Belgique en vue de tirer les enseignements de ces 20 dernières années et proposer des alternatives durables,
  • assurer son propre financement sur des ressources qui restent encore à définir.
Bref, réaliser en 10 mois ce qu'il a été impossible de mettre sur pied en 10 ans.

Autant dire que rien n'est gagné et que l'existence d'un organe de gestion du temporel du culte musulman (EMB ou autre) est loin d'être acquise au moment où la Diyânet veut jouer en solo la carte des fédérations comme seules interlocutrices crédibles de l'Etat belge (et ce d'autant plus qu'elle est la seule véritable fédération existant en Belgique, à côté du Milli Görüs, deux fois plus petite cependant). Face à ces velléités, le Maroc tente de susciter le développement d'une fédération de mosquées qui lui serait proche, voire son propre conseil de savants.

Coût de l'opération : chaque partie fait fi de la nécessité d'élaborer une réflexion juridique prenant en compte la réalité du terrain belge et de sa diversité en matière d'orthodoxie et d'orthopraxie jurisprudentielles.

Pourquoi vingt-trois des soixante-huit membres de l'Assemblée générale de l'EMB ont présenté jeudi 12 juin leur démission ?
M. P. : En conséquence des enjeux mentionnés ci-dessus et face, manifestement, à l'impossibilité de faire vraiment avancer l'EMB dans la direction qu'ils souhaitaient, les démissionnaires, presque tous membres de la Diyânet, quittent un navire dont ils ne voient plus l'utilité et qu'ils ont amplement contribué à saborder. Leur objectif : tenter une ultime manœuvre de déstabilisation et de discrédit de l'équipe actuelle et tout miser sur la reconnaissance de leur fédération comme interlocutrice officielle de l'Etat belge. Il n'est point question ici d'esprit de réforme en profondeur de la représentation des musulmans de Belgique comme ils l'annoncent dans leur communiqué de presse, mais de mettre les musulmans de Belgique (ou en tous cas les membres que cette fédération représente) sous la tutelle de l'administration turque des affaires religieuses dont « l'indépendance » à l'égard du pouvoir central est bien connue.

A titre d'anecdote, les mosquées liées à cette fédération continuent par ailleurs, chaque vendredi, à implorer Dieu de bénir et de protéger leur pays… la Turquie, bien sûr ! Et ce, alors que la majeure partie de la communauté musulmane d'origine turque possède désormais la nationalité belge. Un bel exemple d'intégration s'il en est, mais in fine fort peu étonnant quand on apprend que le conseiller aux Affaires religieuses de l'ambassade de Turquie en Belgique irait jusqu'à dire qu'il préfèrera toujours traiter avec un musulman voleur qu'avec un non-musulman.

Un peu d'espoir quand même dans ce triste tableau : cette hégémonie administrative commence peu à peu à être contestée de l'intérieur par les membres de base de cette fédération. Mais combien de temps faudra-t-il pour y faire vraiment le ménage ?

Et pourquoi le ministre de la Justice belge Jo Vandeurzen refuse-t-il de réaccorder des crédits à l'instance ?
M. P. : Le financement de l'EMB était, dès l'origine, voué à s'éteindre une fois la reconnaissance des mosquées et des imâms achevée. Aucune date n'avait été avancée à l'époque, mais chacun présumait qu'un nombre d'années relativement limité y suffirait. 10 ans ont passé et seuls 15% des mosquées ont été partiellement reconnues. Face aux situations de blocage répétées que connaît l'institution pour des raisons multiples dont j'ai exposé certaines ci-dessus, l'Etat belge commence à montrer une certaine impatience face à une institution qui tarde à délivrer des progrès concrets. L'avenir proche ne semble pas offrir, en outre, de perspectives outrageusement optimistes en la matière.

En l'occurrence, étant donné que l'Etat ne peut intervenir directement dans les affaires internes du culte pour cause de séparation des pouvoirs, il reste peu de moyens à ce dernier pour tenter de faire avancer les choses à part menacer de couper les ressources financières de l'EMB si la communauté musulmane ne propose pas une institution fonctionnelle, efficace et gérée de manière professionnelle. Et ce d'autant plus que le précédent EMB a quitté ses fonctions en laissant un trou de près de 300 000€ dans sa comptabilité !

Si une telle mesure peut paraître faire sens d'un certain point de vue, on touche pourtant là à l'un des paradoxes, voire une des contradictions les plus dommageables de la gestion du dossier de l'institutionnalisation de la représentation des musulmans de Belgique par l'Etat belge lui-même. D'un côté, il tient un discours encourageant fortement à l'intégration des musulmans de Belgique au sein de la population majoritaire et à leur émancipation des tutelles étrangères, mais ne cesse parallèlement de sous-traiter leur gestion concrète, d'une façon comme d'une autre, à des Etats étrangers au travers de leurs réseaux d'influences plus ou moins formalisés. Cette politique schizophrénique joue évidemment un rôle crucial dans la situation actuelle. Elle entraîne :
  • un manque de clarté pour les musulmans vis-à-vis des attentes et des promesses de l'Etat belge ;
  • une application de standards différents pour les citoyens belges de confession musulmane par rapport à leurs concitoyens d'autres confessions ou convictions puisque le traitement de leurs affaires reste soumis à des ingérences étrangères plus ou moins fortes s'exerçant en dehors de tout contrôle démocratique ;
  • ou encore une application d'obligations discriminantes, à la limite de la légalité, à l'instar du dernier règlement électoral imposé par une commission d'experts désignée par le Ministre des Cultes (i.e. la nécessité de l'auto-désignation des électeurs selon des catégories ethnoculturelles en vue de la création de collèges électoraux artificiels (marocain, turc, converti, autre))...
Loin d'être un interlocuteur neutre, l'Etat belge est une partie prenante active de ce processus d'institutionnalisation et a donc une responsabilité importante, mais non assumée, dans la situation actuelle de l'institution.

Les difficultés auxquelles doit faire face l'EMB peuvent-elles être comparées à celles auxquelles fait face le CFCM en France, à savoir les conflits de nationalités et autres luttes d'influence ?
M. P. : Oui, si l'on s'en tient aux conflits de nationalités et autres luttes d'influence. Pour ce qui relève des autres aspects de la problématique française, je ne suis pas assez informé pour pouvoir pousser plus loin la comparaison. Ceci étant, on retrouve chez un certain nombre d'élus la même quête de légitimation, d'accession au capital symbolique, voire politique (on traite avec les ministres ou leurs administrations), les mêmes stratégies de notabilisation intra- voire extracommunautaires, etc. L'accumulation de ces multiples dimensions individuelles ajoute évidemment à la complexité de la compréhension des enjeux institutionnels de cette représentation.

Enfin, comment est perçu l'EMB par les musulmans Belges ?
M. P. : Autant dire que sa crédibilité est réduite à néant. Les musulmans avaient investi, peut-être à tort, beaucoup d'espoirs dans ce processus. Nombreux étaient également ceux qui avaient des attentes ne correspondant d'aucune façon au mandat de l'institution (e.g. défendre le port du foulard dans les écoles, prendre des décisions jurisprudentielles en la matière,...), ce qui n'a pas manqué de conduire à de lourdes déceptions.

Mais au-delà de ça, la population est plus choquée par les "affaires" diverses qui ont entaché la gestion de l'EMB et par la démonstration d'une incapacité à s'entendre et à collaborer en faisant fi des intérêts strictement ethno-communautaires pour traiter de l'intérêt général de la communauté musulmane de Belgique. Il est attendu, en effet, de personnes acceptant de prendre de telles responsabilités qu'elles fassent preuve d'une éthique exemplaire à la hauteur des valeurs promues par la communauté de foi qu'elles sont censées représenter. Et du fait de quelques canards boiteux qui n'ont pas pu départager entre les différents intérêts en jeu, c'est l'ensemble de l'institution et des personnes qui s'y sont investies qui sont frappés de discrédit. C'est dommage, mais prévisible.

En conclusion, lors des élections de 1998 et 2005, les musulmans ont démontré avec brio leur maturité démocratique en organisant de véritables élections libres et démocratique, ouverts à tou-te-s, devenant ipso facto la seule communauté convictionnelle de Belgique, voire d'Europe, à élire ses représentants au suffrage universel dans une telle transparence. Ils doivent maintenant tirer les leçons des douloureuses expériences de gestion, de négociation intracommunautaire ainsi qu'avec les autorités gouvernementales qui s'en sont suivies, pour envisager enfin, sereinement, un mode de représentation qui permette de contourner les obstacles apparus jusqu'à présent et ce en vue de faire émerger une véritable communauté musulmane de Belgique par delà la joyeuse diversité du patchwork des multiples communautés d'origine.

Lundi 23 Juin 2008
Propos reccueillis par Assmaâ Rakho Mom

16.6.08

A Muslim declaration of independence

Article publié dans le "Providence Journal", vendredi 25 Novembre 2005
(disponible à http://www.projo.com/opinion/contributors/content/projo_20051125_25mus.177be02b.html).

Le contexte: durant la même rencontre organisée par l'Ambassade des Etats-Unis à Bruxelles (voir article précédent), j'ai eu l'occasion de rencontrer Salam al-Marayati, du Muslim Public Affairs Council (http://www.mpac.org/), une organisation très intéressante qui se définit comme une "agence de service public travaillant pour les droits civils des musulmans américains, pour l'intégration de l'Islam au sein du pluralisme américain, et pour une relation positive et constructive entre les musulmans américains et leurs représentants. [...] MPAC a travaillé avec diligence pour promouvoir une communauté musulmane américaine vivante et pour enrichir la société américaine au travers de l'exemplification des valeurs islamiques de Miséricorde, de Justice, de Paix, de Dignité humaine, de Liberté et d'Egalité pour tous". Partageant manifestement nombre d'aspirations, Salam et moi avons pris l'initiative d'un communiqué "punchy" montrant que les musulmans, quel que soit leur point de départ, font maintenant partie intégrante des sociétés occidentales et qu'au même titre que tous les autres citoyens, ils ont les mêmes devoirs et bénéficient des mêmes droits. Ni plus, ni moins. Tout un programme.

BRUSSELS
AS TWO MUSLIMS of European and American background, we have just attended a conference on U.S.-Belgian Muslim dialogue as a means of raising the level of civic engagement among our respective Muslim communities. The conference was engineered by the U.S. ambassador to Belgium, Tom Korologos, and sponsored by non-governmental organizations in Belgium.
The discussions, which took place among people who were not diplomats or state officials, were centered on the fortification of the Western Muslim identity. By understanding our different experiences, we gained appreciation of the commonality of purpose of our two communities. It is time to establish and strengthen the Western roots of Muslim communities, as opposed to living off the respiration of transplanted roots from "back home."

This -- Brussels, Los Angeles, New York, Paris, London -- is home. We shed our cultural baggage while maintaining our Islamic values. We embrace our European and American cultures, while committing ourselves to serving our national and global Muslim communities. And we aim to examine our respective roles in order to raise the status of Muslims in the West -- as a way to answer perennial questions about isolation, extremism, women's rights, human rights, democracy and attitudes toward other faiths.

As Muslims have integrated into Western societies, it is time to shift from speaking from the margins to speaking from the mainstream. We know that there are groups and political forces whose aim is to keep us excluded from the Western mainstream, but we also know that there are more people of goodwill, who want to see our acceptance in society.

We reject the labels of "alien" or "foreigner" in our Western nations. Some of us were born in the West and became Muslim, and some of us were born Muslim and came to the West. Whatever our origin, we have arrived at our destination. We reject those who want to eject Islam from the United States or Europe; and we aim for our rightful place in society, through education and example.

It is a matter of raising the consciousness of our fellow Muslims to accept our new beginning in the West, and it is a matter of raising the consciousness of others that our acceptance in Western societies is in the West's best interests.

Our goal is to gain not religious converts but political converts to the "party" of the human family. We do not presume to have the answers, nor do we believe we are the answer or the only answer. But we are the opportunity for America and Europe to begin looking toward a brighter future. Without the civic participation of our Muslim communities, there are no solutions -- just a dark chapter following the dark pages of the past.

Our ability to shed light on the aspirations and frustrations of Muslim communities is a tool to be utilized by our governments, even if it is occasionally exploited.

While there is much talk of public diplomacy to the Muslim world, there is a growing realization that positive image building -- of the United States in particular and the West in general -- cannot take place without the involvement of the Muslim communities. There must be a parallel track of grassroots diplomacy (Muslims in Western countries in dialogue with Muslims of other countries) and government diplomacy (Western governments in dialogue with Muslim governments).

It was decided during the two-day conference to follow up with concrete steps, including an exchange of best practices in the areas of youth empowerment, combating domestic violence, and developing Islamic literacy among the Muslim masses.

This event was a moment for fostering the theology of inclusion and opposing the theology of exclusion. The multifaceted approach will help in a number of ways: It will end the notion that Muslims are persecuted in the West and take a point of exploitation away from extremists. It will give a legitimate voice to the mainstream Muslim community. And it will counter extremism fomented by alienation resulting from economic deprivation, social isolation and political exclusion.

We feel that we completed a historic journey on this short trip -- one that is as yet only leaving the dock in a global search for reconciliation among faiths, among peoples and among cultures.

Michael Privot is vice president of the Forum of European Muslim Youth and Student Organizations, in Brussels. Salam Al-Marayati is executive director of the Muslim Public Affairs Council, in Washington.

12.6.08

Change is in Our Hands: Ways in Which Belgian Muslims could Begin to Make their Integration a Reality

Article publié dans le Vol. 1, n°3 de février 2006 du bulettin de l'Association "Karamah, Muslim Women Lawyers for Human Rights (http://www.karamah.org/)".

Le contexte: étant à cette époque vice-président du FEMYSO (Forum of European Muslim Youth and Student Organisations, http://www.femyso.org/), j'avais été invité à une conférence organisée à Bruxelles, à l'automne 2005 par l'Ambassadeur des Etats-Unis, M. Korologos, pour échanger réflexions, expériences et bonnes pratiques entre musulmans belges et américains. A la suite de cela, j'avais été sollicité par une organisation participante américaine pour proposer quelques paragraphes de réflexion sur cette initiative.

Under the initiative of Ambassador Tom Korologos, the U.S Embassy in Belgium and the Belgian Royal Institute for International Relations, a conference convened that provided 30 American Muslims and 70 Belgian Muslims the exceptional opportunity to meet and discuss issues of common concern.

Thanks to the commitment of the U.S. Embassy staff, a positive material and relational framework was set up to facilitate and encourage participants to exchange and share experiences. Without those resources, such a dialogue would simply have remained unconceivable. But it took place! And we all benefited from this occasion to network and build good and strong intercontinental relations for years to come.

Yet, beyond those first positive impressions and results, a critical look at what happened still remains to be taken for the sake of intellectual sanity. In my opinion, the fact that the conference was entirely funded by the U.S. Government compelled many of us to reassess many stereotypes and prejudices about the reality of the relationship between Muslim communities and the Administration, and to depart from black and white ‘do-it-yourself’ simplistic worldview to consider more complex shades of grey. And if it “halalises” this meeting that would have looked very suspect to any intelligence service had it been organised by anyone else, one can only but regret that such a useful and positive initiative did not stem from the so called Muslim countries, whose embassies are as deeply involved on the Brussels’ scene. The fact remains that once again, save the building of mosques and trendy Islamic centres, Muslim officials and governments are (at least) one train late when it comes to community building, exchange of best practices and thinking for the future.

Now, as a Muslim Belgian, I still feel a kind of dismay at the picture that some Belgian participants gave of their communities. Perhaps the same is true for the American participants, but I do not have any direct personal knowledge of the situation of the American Muslim communities to be able to give a judgment on the possible gap between the delivered discourses and the grassroots reality. True enough, this was a first step that was not really meant to be in–depth, but exploratory. However, it strangely resulted in a form of reproduction of some stereotypes about our respective communities, although one could have expected more nuances from the part of Muslims expressing themselves about their own day to day realities.

I will focus on three main issues which should help clarify my point:

1) Muslim Politicians/MPs in Belgium
It was quite surprising for me to learn that many of the MPs or even ministers of Arab (essentially Moroccan) or Turkish background were presented as Muslims. Being myself ethnically European, this aroused in my eyes the lasting confusion in the minds of many Muslims from migrant descent between religion and ethnicity: being Moroccan or Turkish means being Muslim, which is a fallacy and a basic negation of the cultural and religious diversity of both the alleged countries of origin and the Belgian or wider European societies. The reality is that none of those politicians was elected on the basis of his/her religious affiliation but rather on the ground of his/her ethnicity. None of them has been campaigning on the religious aspect of his/her identity and very few of them have been publicly expressing themselves say by mobilising this religious identity in ethical debates (euthanasia, homosexual marriages, cloning, etc.) or in social controversies (the wearing of hijâb in secondary schools). Many of those politicians are also engaged in left-wing parties which are usually uncomfortable with the expression of one’s faith in the public sphere. What I am trying to say here is by no mean an expression of criticism or a judgment of value on their involvement and positioning. I just wish to underline the fact that there are no Muslim representatives in the Parliament, but just people from various ethnical and cultural backgrounds whose religion externally plays a minimal if no role at all in their political careers.

2) The Media and their Negative Portrayal of Muslims
Sure enough, one cannot deny the fact that some journalists or media have a certain political agenda in which the depreciating portrayal of Islam, Muslims and Muslim communities plays a key role. Yet, during our exchanges, I received the impression that it is a hopeless reality for Muslims.

I know that there are differences in the mindset of the populations (and thus, of the media) between Northern and Southern Belgium, where the former tends to be far more conservative and often cooks up far right ideas. But I cannot place all the blame entirely on the media. The media is a complex world with its own rules, demands, deadlines and shortcomings; it is not per se against Islam and the Muslim communities. It is true that there is much ignorance, but I personally met many media people who were eager to learn and who expressed their deep regret that they had too little time to become acquainted with the world(s) of Islam. Muslims should understand that for outsiders, Islam and Muslim communities are an intensely complex universe. Journalists unfortunately do not have the time to try to understand the complex direct, indirect or even subliminal relationships existing between people, groups, ideologies, religious interpretations, cultures, traditions, national and/or ethnical interests that are all intrinsically linked within the Muslim magma. Moreover, Muslims should also quit being self-centred and should start realising that the media’s treatment of many other minority groups is very similar in terms of the stereotyping they endure (i.e. Roma minorities, anti-globalisation movements, etc.).

Therefore, before blaming the media for not portraying us not nicely but at least objectively (i.e. telling what is right and wrong, according also to their perspective and not only ours), Muslims in Belgium (and Europe) should make great efforts to communicate more effectively and accurately to the Western audience. They need to articulate who they are, as a community, what they think, what they do and what they plan (if they ever managed to reach this last stage!). Very strangely, I often noticed that the individuals who are the most suitable to deliver such a message to the broader community are refusing to speak out. This is due to their fear of the media. But change has to come from somewhere, so let’s start with ourselves.

3) The Financial Condition of Muslims in Belgium
Masâkîn! That’s what I was thinking, my hand in the pocket, ready to give, when hearing the reports. It is a fact that the socio-economic level of Muslim communities in Belgium is quite lower than that of the Muslim communities in the U.S. with the notable exception of the African-American Muslim community. But from my particular position which is neither totally of an insider or an outsider, I can only but notice that, in general, Muslims in Belgium are not amongst the poor, but are increasingly part of the middle classes while many of them maintain the habits they inherited from their parents, dating from their family’s experience with poverty. What is needed above all is a change in mentalities. Beyond the huge amounts of money sent back to the respective countries of origin, in Brussels only, this last Ramadan had witnessed once again millions of Euro being collected for the building, extension, development and embellishment of mosques. But very few Muslims dare give money for civil rights organisations, social organisations, youth organisations, student organisations, Muslim private schools or even for real estate investments that would offer their offspring a suitable working and studying environment.

I dare think that the financial condition of Muslims in Belgium is not so linked to an endemic poverty than to questionable logics of priority investment and fund management. These few examples are also a marker of the level of a ‘victimization mentality’ that is pervasive in Muslim communities. As much as Muslims complain about being the scapegoats of Western societies, they are themselves using the broader community as a scapegoat for their own underachievement. Muslims in Belgium should depart from this comfortable mindset that prevents them from facing their failures and taking charge of their own matters without the need for any external help. Neither the Muslims nor the broader communities are entirely responsible for the present state of affairs. Responsibilities are shared and need to be mutually confronted. But as long as Muslims go on moaning and begging for help while refusing to acknowledge their shortcomings or taking lessons from them or constructively engaging the broader society – which they are already part and parcel of – few positive changes will occur in the coming years.

10.6.08

Frères Musulmans: l'heure du coming out

Michael Privot
Islamologue, Frère musulman

Carte Blanche publiée dans Le Soir du mardi 03 juin 2008

Le contexte: je reviendrai par la suite plus en détails sur la question des Frères Musulmans qui m'a (pré)occupé depuis plusieurs années.
Suite à la publication d'un rapport - particulièrement négatif car très idéologiquement orienté - de la NEFA sur les Frères Musulmans en Belgique et les multiples conséquences médiatiques qui en découlèrent, j'ai pris la décision d'aller de l'avant et de clarifier un certain nombre de choses à ma portée. D'où ce "coming out" personnel en espérant que cela suscitera un débat intéressant, particulièrement au sein des Frères, à l'heure où chacun sait qui est qui, tout en faisant semblant de ne pas savoir. La doctrine clintonienne du "don't ask, don't tell" à propos de l'homosexualité au sein de l'armée américaine me semble avoir démontré ses limites en ce qui concerne les Frères. Ils font - nous faisons - partie de nos sociétés européennes, alors assumons-le et débatons de nos appartenances, de nos projets, de nos idées et de nos idéaux en toute transparence. Ce sera déjà un grand pas en avant vers une compréhension mutuelle. A tout le moins, j'en fais le pari.
Pour l'ensemble du dossier, voir les rétroactes publiés par PYL:
Belgique - "The Muslim Brotherhood in Belgium"
Belgique - Verviers, bastion du Hamas?
Belgique - Verviers, bastion du Hamas ? (suite)
Verviers, bastion du Hamas ?

Un récent emballement médiatique a de nouveau focalisé l'attention sur les Frères musulmans et leurs prétendues connexions avec le terrorisme, de Verviers à Gaza, suscitant bien des interrogations légitimes.

Qui sont ces « extrémistes » parmi nous ? Ou comment suis-je devenu un supposé terroriste du jour au lendemain ?

Le contexte : nés en 1928 en Egypte sous l'impulsion de Hasan al-Banna, les Frères musulmans ont joué un rôle clé dans la libération de ce pays du joug colonial britannique. Le choc causé par l'intrusion des Frères n'a jamais été digéré par de nombreuses chancelleries européennes. En effet, les Frères fédérèrent une partie importante du peuple égyptien, puis du monde musulman où ils avaient essaimé, sous la bannière d'une réappropriation de l'universel à partir d'un référent islamique, par opposition à une modernité à l'occidentale disqualifiant la pensée musulmane.

La réponse des Frères s'articulait donc autour de références religieuses, et non laïques ou simplement culturelles, rendant illusoire toute sympathie européenne pour leur résistance. Le décor était planté pour une « mécompréhension » durable.

Leur succès repose sur quelques principes forts : quête d'une vie spirituelle intense au travers d'une religion vécue comme vecteur de réforme et de dignité, lutte pour la Justice, participation active au sein de la société, pragmatisme et éducation populaire. À partir de ce noyau, tous les positionnements sont possibles, comme on le constate dans tous les pays où les Frères ont établi des associations ou des partis politiques, parfois tout à fait légitimes comme au Koweït.

L'accent sur l'adaptation au contexte local a rendu les Frères jaloux de leur indépendance. Chaque section est seule juge des défis qui lui sont propres. Un exemple ? Les Frères irakiens participent en bonne place au gouvernement actuel alors que le reste de la mouvance s'est opposé à l'intervention américaine en Irak. Ce qui relègue la thèse du lien organique de la Confrérie internationale avec la maison mère égyptienne au rang de mythe de la propagande antifrériste. Au-delà de la frontière égyptienne, le Guide de la Confrérie n'a plus rien à dire.

Par ailleurs, tout en combattant l'emprise idéologique de l'Europe sur les sociétés musulmanes, les Frères n'en reconnaissent pas moins les vertus et le progrès civilisationnel, y maintenant une présence constante, mais discrète. Et pour cause : les pionniers du mouvement étaient presque tous des exilés politiques ayant croupi dans les geôles de leurs dictatures d'origine, pendant que l'Europe des droits de l'homme détournait pudiquement le regard au nom d'intérêts bien compris. On saisira aisément pourquoi s'afficher Frères musulmans ici ne leur avait pas semblé le meilleur calcul.

Qui sont les Frères européens ? Leur profil est très diversifié.

Une première génération d'inspiration moyen-orientale, en partie proche de la retraite, se retrouve au sein de la Fédération des Organisations Islamiques en Europe (FOIE) et de ses organisations satellites (jeunesse, femmes…).

Les membres de ce « canal historique » se regroupent en associations islamiques nationales (la Belgique compte une soixantaine de membres, la France quelques milliers). Bien que certains Frères suivent encore de près la situation politique de leur pays d'origine, la majorité a pris le parti définitif de l'intégration en Europe.

La jeune génération des Frères européens a une autre histoire. De toutes origines ethniques, culturelles et sociales, ils sont nés ici, biberonnés aux vertus de la démocratie, des droits de l'homme, de l'Etat de droit et de la citoyenneté responsable. Loin des stéréotypes, les Frères sont en plein questionnement identitaire, lié en partie à leur complexité foisonnante, traversée par des courants parfois antagonistes : des derniers nostalgiques du califat aux démocrates les plus convaincus, des ultraconservateurs aux réformés libéraux, des partisans de politiques communautaristes aux intégrationnistes sans concession, des révolutionnaires aux ultra-légalistes, des partisans de gauche à ceux de droite…

Et moi dans tout ça ? Converti à l'islam, droit-de-l'hommiste convaincu, mon engagement avec les Frères se fonde sur une citoyenneté engagée s'inscrivant dans la lignée de leurs principes fondateurs.

Ils possédaient seuls des structures pouvant relayer leurs réflexions sur les questions relatives à l'intégration des musulmans, sur l'adaptation de la pratique musulmane à nos sociétés sécularisées ou encore sur un renouveau de la pensée islamique destiné à l'ensemble de la communauté musulmane. Bien que marginal par rapport à la Confrérie, mon propre engagement est à l'intersection de plusieurs défis :
– Amener les Frères à rompre leur silence schizophrénique autour de leur appartenance pour enfin assumer et débattre publiquement tant de leurs idéaux que de leur héritage encore à évaluer sereinement. Des décennies d'activisme politique au cœur de la région la plus agitée du monde mènent inévitablement à certaines erreurs. Ce qui n'excuse pas tout.
– Développer une véritable approche « musulmane » d'intégration à nos sociétés pluralistes et globalisées.
– Agir en faveur de la construction d'une société européenne effectivement juste et démocratique, où les droits fondamentaux des individus sont mis en pratique sans concessions, et où les discriminations sur les motifs de l'ethnicité, de la situation sociale, des convictions philosophiques ou religieuses, de l'âge, du handicap, du genre ou de l'orientation sexuelle seront condamnées et combattues.
– Normaliser les Frères et promouvoir une approche objective de leur bilan pour en faire des partenaires positifs de nos sociétés démocratiques confrontées aux défis de la diversité et des replis identitaires.

Malheureusement, dans le contexte actuel parfois franchement islamophobe et polarisé par le conflit israélo-palestinien d'une part, et le 11 Septembre d'autre part, tenter une analyse à froid ou faire son coming out équivaut à « suicider » sa légitimité, ce que redoutent, à raison, la plupart des Frères. J'en veux pour preuve tous les opportunistes qui font carrière sur leur diabolisation en profitant de l'absence d'interlocuteurs fréristes et d'un public peu averti. Abus et mensonges les plus éhontés sont dès lors permis. Frères musulmans ? Tous obscurantistes et terroristes ! Coupables de tous les maux, du choc des civilisations au déficit démocratique en passant par la lapidation des adultères. Qu'importe, personne ne démentira !

Or, chacun admettra d'évidence que le peuple de gauche s'étend de Hu Jintao à Hugo Chavez en passant par Tony Blair et le Sous-commandant Marcos. Il ne s'agit pourtant pas de la même gauche, et leurs positionnements respectifs sont radicalement différents. Chacun admettra, en corollaire, la nécessité d'une analyse nuancée pour donner sens à cette diversité.

Pourquoi de telles précautions n'ont-elles plus lieu d'être dès lors qu'il s'agit de s'intéresser à la diversité des Frères musulmans ? La délégitimisation systématique d'acteurs incontournables de l'intégration des musulmans en Belgique et en Europe par le recours à des amalgames essentialistes et nauséabonds entre Frères et terrorisme n'est là, hélas, que le syndrome d'une pauvreté de notre civilisation qui démontre ainsi son incapacité à éviter simplisme et caricature dès qu'il est question d'islam.

Plutôt que de débattre, même âprement, des idées, d'aucuns préfèrent s'en prendre aux hommes et aux organisations, s'érigeant ainsi en fossoyeurs de la démocratie. De Verviers à Gaza.

#2 : Claquer la bise, serrer la main - quand mon paradis dépend de la façon dont je te dis bonjour

Cette pratique, peu connue il y a encore une trentaine d’années au sein des communautés musulmanes, s’est répandue dans les milieux conserva...