30.4.09

Port du foulard: le Conseil d'Etat viole-t-il le principe de séparation des pouvoirs ?

Carte blanche publiée le 30 mai 2009 sur le site du Soir.

Deux récents arrêts du Conseil d'Etat ont de quoi interpeller. En effet, la plus haute juridiction administrative du pays s'est prononcée sur la recevabilité de deux recours en annulation intentés en octobre 2005 par le MRAX (Mouvement contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Xénophobie) à l'encontre de deux ROI (Règlements d'Ordre Intérieur) adoptés par l'Athénée Royal de Vauban et l'Athénée Royal de Gilly. Ces recours visaient aussi la décision de la ministre de la Communauté française en charge de l'Enseignement obligatoire de l'époque de confirmer les modifications introduites dans les ROI concernés visant à interdire le port du foulard dans ces établissements scolaires.

La première dérive réside dans l'examen de recevabilité opéré par le Conseil d'Etat. Pour rappel, cet examen a comme finalité de répondre à la question de savoir si la partie requérante, ici le MRAX, a un intérêt à agir. Pour y répondre, le Conseil d'Etat analyse l'article 3 des statuts du MRAX, libellé comme suit :

« L'association a pour but la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. Elle appelle à l'union et à l'action tous ceux qui entendent s'opposer aux discriminations, aux haines, aux préjugés fondés sur une prétendue race, la nationalité, la langue, la culture, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la confession ou les convictions philosophiques. Elle veut faire triompher l'amitié et la paix entre les peuples et promouvoir l'égalité et la fraternité entre les êtres humains. (…) »

Pour apprécier l'intérêt à agir dans le chef du MRAX, le Conseil d'Etat devrait se limiter à apprécier s'il existe un lien entre ses objectifs et le cas d'espèce. Ni plus ni moins. Or, il va au-delà en procédant de facto à un examen sur le fondement des recours… pour répondre à la question de la recevabilité. Voilà le paragraphe-clé, très similairement libellé dans les deux arrêts :

« Considérant qu'en édictant qu'est interdit aux élèves “le port de tout couvre chef, de signe ostensible d'appartenance politique ou religieuse dans l'enceinte de l'établissement”, le règlement attaqué, loin de porter atteinte à l'objet social de la requérante, a pour effet de le rencontrer et de le conforter; qu'il s'ensuit que la requérante n'a pas intérêt à en poursuivre l'annulation; que le recours est irrecevable. »

Ainsi, le Conseil d'Etat répond au stade de l'examen sur la recevabilité à une question qu'il devrait être amené à se poser une fois seulement les recours jugés recevables et l'examen sur le fondement commencé.

La deuxième dérive, qui découle directement de la première, réside dans le modus operandi du Conseil d'Etat s'agissant de son examen de facto sur le fondement. En effet, (en gardant bien à l'esprit que le Conseil d'Etat ne peut pas procéder à un tel examen durant la phase ayant trait à la recevabilité), il est important de rappeler que tout examen sur le fondement consiste à apprécier la légalité d'un acte administratif incriminé.

Ainsi, s'agissant du port du foulard à l'école, le Conseil d'Etat devrait apprécier la conformité des ROI et de la décision de la ministre de l'époque aux deux normes à caractère législatif concernées qui sont en vigueur : les décrets « neutralité » de 1994 et de 2003. Or, force est de constater qu'à aucun moment le Conseil d'Etat ne ressent le besoin d'effectuer ce contrôle de légalité, ce qui est sa mission première dès lors qu'il décide de procéder à un examen sur le fondement.

La troisième dérive réside dans l'absence de motivation dans les deux arrêts rendus. En effet, nous ne saurons pas en quoi l'interdiction du port du foulard à l'école contribue à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, contre les discriminations, haines, préjugés fondés sur une prétendue race, la nationalité, la langue, la culture, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la confession ou les convictions philosophiques, pour l'amitié et la paix entre les peuples et pour l'égalité et la fraternité entre les êtres humains.

Ce faisant, le Conseil d'Etat ne fait ni plus ni moins que violer le principe de séparation des pouvoirs, puisqu'il outrepasse l'examen de légalité en procédant à une interprétation politico-idéologique et péremptoire des valeurs mentionnées dans l'article 3 des statuts du MRAX. C'est d'autant plus ahurissant que le même Conseil d'Etat, section administrative également, s'était déclaré en 2002 incompétent pour apprécier l'opportunité d'interdire ou non le port du foulard à l'école, faisant ainsi suite à une sollicitation du gouvernement Hasquin.

Ces deux arrêts du Conseil d'Etat sont en définitive une nouvelle illustration d'une réalité tout à fait inacceptable : l'application à géométrie variable du droit selon que les cas d'espèce touchent ou non à la question de la visibilité des citoyens de confession musulmane.

Que les magistrats qui ont rendu ces arrêts décrédibilisants pour l'institution du Conseil d'Etat s'arrogent le droit de prendre la place du politique et décident à sa place est en soi intolérable, mais qu'en plus ils subvertissent le droit même à l'égalité, qu'ils sont censés protéger, est proprement insoutenable. Et laisse augurer un avenir sombre pour toutes les associations luttant en justice contre les discriminations, toutes les discriminations.

En conclusion, ce piétinement du droit est rendu possible par l'irresponsabilité de la Communauté française, qui n'a que trop laissé pourrir la situation et qu'il faut, plus que jamais, contraindre à se souvenir de sa mission première : trouver des solutions en garantissant les droits fondamentaux.

Signataires: 

Abdelghani BEN MOUSSA – Coordinateur du think tank Vigilance musulmane, ex-administrateur du MRAX

Hajer MISSAOUI – Juriste diplômée de la Sorbonne, spécialiste des droits de l'Homme

Hanieh ZIAEI – Politologue, titulaire d'une maîtrise en politique internationale et comparée de l'Université de Montréal

Mehmet A. SAYGIN – Juriste, secrétaire général de l'Union des démocrates turcs européens

Michael PRIVOT – Islamologue, militant antiraciste

Voir l'ensemble du dossier sur le site du Soir ici pour une proposition de solution juridique au port du foulard ou encore sur www.neutralite.be par 6 intellectuels: Le militant associatif Abdelghani Ben Moussa, les juristes Hajer Missaoui et Mehmet Saygin, les avocates Hava Yildiz et Inès Wouters, l’islamologue Michael Privot

5.4.09

Retour sur certaines manifestations pro-palestiniennes

Le contexte: sous l'impulsion du Député Yves Reinkin, la régionale verviétoise d'Ecolo avait organisé une soirée citoyenne d'échanges autour de la question "Israël-Palestine: quel espoir de paix" au début du mois de février 2009, quelques jours après la fin officielle - pas sur le terrain - de l'offensive israélienne. Sollicité pour une intervention en compagnie de différents orateurs, j'ai choisi d'aborder le sujet selon l'angle de la cohésion sociale ici, en Belgique, du dialogue entre les communautés, de la nécessaire compréhension du langage de l'autre, et ce en vue de créer, à partir d'ici, un impact positif sur ce qui se fait là-bas. Quelques réflexions en espérant ne pas avoir été complètement à côté de la plaque.

Je souhaiterais commencer mon intervention en remerciant Monsieur le Député Yves Reinkin pour avoir pris l'initiative d'organiser cette rencontre à l'heure où la cohésion de notre société est mise à rude épreuve par de multiples facteurs dont il importe de ne pas perdre de vue l'éventuel effet cumulatif : crise du pouvoir d'achat, crise financière, crise économique, crise environnementale, crise des modèles sociétaux - auxquelles vient s'ajouter une crise internationale particulièrement révélatrice des lignes de fractures qui parcourent notre monde. 


Dans ce genre de cas, le dialogue demeure en effet l'ultime outil qu'il faut s'empresser de maintenir ou de rétablir coûte que coûte pour faire en sorte que des canaux d'échanges restent ouverts entre les multiples communautés qui composent notre société et qu'un partage d'expériences puisse avoir lieu malgré tout. Car seul le dialogue permet de lutter contre l'enfermement sur soi, sur ses idées préconçues, sur sa douleur personnelle ou communautaire, sur ses propres stéréotypes et ses préjugés. Plus rien, en effet, ne peut venir mettre ces derniers en question si l'on choisit de s'enfermer dans une approche univoque d'une question aussi sensible que celle-là. Et un tel dialogue est d'autant plus nécessaire qu'un des enjeux les plus importants de la tragédie à laquelle nous venons d'assister est - une fois encore - la légitimité du récit médiatique, voire de l'histoire elle-même. Au-delà même de toute victoire remportée sur le terrain, la victoire la plus importante consiste à gagner l'opinion du monde à sa cause et aucun des protagonistes ne s'y est trompé, même si, sur ce terrain également, l'asymétrie du combat fut totale. La débauche de violence fut extrême en vérité - tant dans l'exhibition de l'horreur des frappes israéliennes que dans l'euphémisation de cette dernière qui a été complaisamment relayée par un trop grand nombre de média. Face à cela, la parole et l'échange restent les seuls moyens pour lutter contre l'aliénation réciproque et l'isolement autistique des communautés qui mènent à cette réification de l'autre, ce préliminaire indispensable à toute violence aveugle, à toute élimination systématique de l'autre que nous venons justement de voir à l'oeuvre.


Comme Mr. Fenaux a rappelé fort à propos un certain nombre d'enjeux qui ont conduit à ce drame que vient de connaître la population de Gaza en particulier, et qui s'inscrit dans la problématique plus large que connaissent les populations de Palestine depuis plus de 60 ans maintenant, je ne reviendrai pas sur cet aspect de la question car il dépasse largement mon champ de compétences. En accord avec l'initiateur de cette rencontre, je souhaiterais concentrer ma contribution sur l'impact que ces 5 semaines d'offensives ont eu de ce côté-ci de la Méditerranée et montrer que les espoirs de paix - puisque c'est le titre de cette rencontre - peuvent s'y enraciner valablement.


Ultime précision, je parle ici en tant que membre - et non pas en tant que représentant - de la communauté musulmane verviétoise. Je ne revendique en aucun cas que mes propos soient toujours en phase avec ce que pensent la majorité de mes coreligionnaires, mais j'ose espérer fournir quelques pistes de réflexions pour tout un chacun ici présent qui aura pris la peine de venir échanger ce soir avec nous.


La récente offensive israélienne a été rythmée chez nous en Belgique par les nombreuses manifestations de soutien au peuple de Gaza qui ont égrainé les 5 semaines de cette campagne. Timides au début, ces manifestations ont connu un succès grandissant, réunissant un nombre toujours plus élevé de personnes avec, corollairement, des motivations de plus en plus diverses.


Si les premières manifestations sur les marches de la Bourse à Bruxelles rassemblaient les inconditionnels de tous bords de la question palestinienne, les plus vastes manifestations ont par contre suscité de nombreux sentiments de malaise sur lesquels il me semble important de revenir, car elles me semblent révélatrices des frictions et des incompréhensions qui empêchent le développement de relations constructives entre différentes communautés de notre pays.


Nous avons tous entendu de nombreuses personnes de toutes convictions et origines dire leur mal-être par rapport à une partie des slogans scandés par de nombreuses autres personnes supposément de confession musulmane (1). On est là, en effet, dans un des noeuds du problème qui commence déjà par les différences de perception de la question entre une gauche hétéroclite qui articule le conflit sous un angle essentiellement politique et un partie de la population manifestante qui l'articule sous un angle essentiellement religieux pour trancher en deux catégories simples. L'essentiel des troupes de ces deux bords y reconnaît une question de droit, mais la façon dont ce droit est articulé de part et d'autre rend la compréhension mutuelle parfois difficile et suscite inévitablement des sentiments de malaise.


Je peux tout a fait comprendre ce sentiment de malaise qu'ont certains de se retrouver dans une manifestation qui avance au nom de "Dieu est grand" ou "Il n'y a pas de divinité si ce n'est Dieu". Par ailleurs, nombre de musulmans peinent à comprendre que ce genre de slogans soient inappropriés à la cause qu'ils disent soutenir. Et pourtant, ils devraient savoir que l'amalgame islam - hamas - islamisme - terrorisme est présent en permanence dans l'esprits des (télé)spectateurs et que l'on ne peut en faire abstraction. Or cette question est bien plus complexe que cela comme on l'a vu. 


D'autre part, dans une société relativement sécularisée qui a tenté d'exclure le religieux du champ public ou en tous cas politique, articuler une revendication territoriale au moyen d'un langage à connotations religieuses ne manque de réveiller les craintes les plus sombres et fait se dire: "Oui, bon, la Palestine, je veux bien, mais en même temps, je ne veux pas soutenir ces manifestants islamistes qui vont nous imposer leur shâria tôt ou tard". Ou encore, vu ce passé douloureux avec la religion, certains se disent également: "Si on mobilise la religion, alors il n'y a plus d'entente possible, car tant le judaïsme que l'islam sont mutuellement exclusifs à propos de la terre de Palestine, au contraire du droit positif". Dans un tel contexte, l'utilisation de slogans de type islamique de façon ostentatoire apparaît comme tout à fait contre-productif pour un dialogue entre communautés. Si j'essaye en plus de me mettre dans la peau d'amis juifs progressistes et militant de la paix qui essayent de tendre des ponts entre les communautés en se fondant justement sur un langage de droit positif et non religieux articulé autour de la Torah, je peux comprendre qu'ils aient des difficultés à créer des espaces de dialogue avec leur collègues manifestants musulmans d'une part, mais aussi au sein même de leur propre communauté avec ceux qui seraient d'emblée moins sympathiques à la cause des Palestiniens.


Que l'on m'entende bien : dans une démocratie libérale, tout un chacun est libre d'articuler son message et ses revendications comme il l'entend pour autant qu'elles ne soient pas en contravention avec les lois du pays, notamment en matière d'incitation à la haine raciale. En ce sens, crier "Allahu Akbar" n'est en rien répréhensible, ni interdit, ni déshonorant. C'est tout simplement inapproprié selon moi. Et ce d'autant plus que de tels comportements reflètent le plus souvent une affirmation identitaire qui, dans le même temps, oblitère la réalité de la résistance palestinienne, car celle-ci n'est pas composée que de musulmans, ni de supporters du Hamas, mais de Palestiniens de toutes convictions et croyances qui s'inscrivent pour la majorité dans une lutte nationale articulée dans un langage politique et non dans une lutte religieuse. Le discours religieux est d'ailleurs bien plus souvent utilisé pour universaliser la lutte au niveau de la oumma globale et s'attirer les sympathies que ne susciterait probablement pas une rhétorique purement anti-coloniale et droit-de-l'hommiste. Le Darfour, le Cachemire, le Gujarat ou encore la Tchétchénie en sont d'excellents exemples a contrario.


Dans un autre sens cependant, toujours dans une démocratie libérale sécularisée, il faut pouvoir entendre et respecter des messages qui s'articulent autour de terminologies religieuses et non plus seulement idéologiques agnostiques (par exemple marxistes). De ce point de vue-là, les cadres de références sont en pleine évolution et il faut aussi que certains segments de notre société puissent se mettre à les écouter sans les disqualifier systématiquement, car il importe de pouvoir y discerner les contenus et les messages pertinents qu'ils contiennent. Le dialogue doit permettre aux différentes parties de pouvoir se comprendre et de moduler la formulation de leurs messages en fonction de leurs interlocuteurs. Autant dire qu'aujourd'hui, toutes les parties prenantes sont encore loin d'avoir pris acte de toutes les implications des impératifs de la communication et de la négociation au sein de sociétés profondément diverses et globalisées.


Une des autres problématiques liées à ces manifestations a bien sûr été la présence de casseurs et de troubles fêtes qui profitent de ces rassemblements pour commettre des méfaits ou provoquer des échauffourées. Dénoncées fermement par tous les organisateurs, elles n'en viennent pas moins nourrir les amalgames entre islam - violence et populations d'origine immigrée. Et desservir la cause palestinienne que ces individus viennent soi-disant soutenir. 


Cependant, force est de constater que cela arrive régulièrement lors de toute manifestation d'importance et que l'on se contente de les déplorer ou de renforcer systématiquement les forces de l'ordre qui - soit dit en passant - ont fait montre d'une violence et de pratiques discriminatoires assez systématiques à l'encontre de manifestants d'origine nord-africaine pour la plupart. Le MRAX a d'ailleurs reçu plus 39 plaintes consistantes pour utilisation de profilage ethnique par les forces de police de Bruxelles. Ce qui ne fait que renforcer ce sentiment d'exclusion à la base même de ces débordements. 


Comme cela a été dit, bien sûr, ces fauteurs de troubles viennent plus crier leur désespoir et leur haine d'une société qui leur offre peu d'avenir que leur soutien à la cause palestinienne dont ils ne connaissent souvent quasi rien. Il ne s'agit pas d'une importation du conflit comme on peut souvent le lire, mais plutôt de l'établissement d'un continuum où l'on perçoit les sociétés européennes comme prenant systématiquement le parti du plus fort contre le plus faible : des forces de l'ordre et de contrôle, des systèmes éducatifs et sociaux, des employeurs, des commerçants, des propriétaires de véhicules, ici, en Belgique, contre eux-mêmes, à la Palestine, là-bas, où les soldats israéliens oppressent le peuple palestinien. A partir de cet amalgame de l'injustice, d'autres amalgames sont permis entraînant, de façon stupide, des atteintes aux biens de personnes juives ou supposées telles. Ce qui est totalement impardonnable et condamnable, faut-il le préciser. 


Mais nombreux préfèrent se contenter d'enchaîner des condamnations plus vives les unes que les autres et qui ont pour fonction principale de délégitimer tout message que l'on pourrait comprendre de ces événements et renforcent ainsi les stéréotypes et   les préjugés à l'encontre de ces jeunes belges "d'origine maghrébine" fauteurs de trouble. Ces condamnations spécifiques permettent aussi aisément d'éviter de confronter efficacement les problèmes sociaux structurels à l'origine de ces troubles. On voit d'ailleurs à ce propos avec quelles peines on avance dans le domaine d'une lutte efficace contre les discriminations en matière d'accès à une éducation de qualité pour tous, à un logement décent surtout dans le marché privé, ou dans l'emploi ainsi que la frilosité avec laquelle nombre de nos élus s'engagent sur ces questions. D'autre part encore, ces condamnations amalgamant islam, jeunes, immigration maghrébine et violence, s'inscrivent dans une rhétorique plus vaste dont il faut également avoir conscience car elle véhicule une violence anti-arabe et anti-musulmane de plus en plus importante et socialement licite. Aux actes antisémites ont répondu de nombreux actes anti-arabes et anti-musulmans qu'il conviendrait de dénoncer avec autant de force, ce qui n'est malheureusement pas souvent le cas.


Dernier point qui me mènera à ma conclusion: le contenu de certains messages énoncés par des personnes supposément de convictions musulmanes (encore que cette dernière qualification n'est pas très utile si ce n'est qu'elle sert à renforcer les amalgames mentionnés ci-dessus) - je pense à des propos tels qu'Israël = état nazi, ou encore SS = Soldats sionistes et d'autres du même tonneau.


Que mon propos soit bien clair: je ne crois pas que l'on condamnera jamais avec assez de force la violence absurde avec laquelle l'armée israélienne vient de s'acharner sur Gaza et dont on ne fait probablement que commencer à découvrir l'horreur et l'amplitude. Ceci étant, pour pouvoir s'entendre, il faut absolument remettre les choses à leur place pour que les mots puissent encore avoir un sens et renvoyer à des réalités précises si on veut éviter de galvauder et banaliser les réalités mêmes auxquelles ils renvoient.


Le nazisme a été une idéologie meurtrière visant à la destruction totale de l'autre différent, et ce de manière systématique, systémique et industrielle, l'Holocauste en étant le paroxysme. Parler d'Holocauste ou de génocide à Gaza n'a aucun sens. Parler de nazification d'Israël n'a pas plus de sens que parler de fascisme vert ou d'islamo-nazis. Gaza fut un massacre de plus, de trop, à grande échelle. On peut parler d'apartheid, voire même de purification ethnique par déplacement de population… de tout ce que l'on veut, mais l'armée israélienne, en tant qu'institution, n'a pas fait un holocauste à Gaza, ni à Jénine. Il ne s'agissait pas d'une tentative industrialisée d'éradication systématique d'une population. C'est de cela que l'on parle quand on fait référence à l'holocauste et au nazisme (2).


Quand ces amalgames sont faits au cours de manifestations, on ne prend pas en compte leur impact non seulement dans l'esprit du grand public, mais en particulier au sein des communautés juives d'Occident pour qui cette mémoire est extrêmement douloureuse et totalement porteuse de sens. Cela peut mener tout d'abord à refuser tout soutien à un mouvement pour les droits des Palestiniens, car une personne portant cette mémoire ne pourra souffrir de tels amalgames. Plus grave, cette banalisation peut augmenter le sentiment d'insécurité au sein de communautés très minoritaires où le sentiment de persécution reste très présent et transformer en conséquence ce sentiment en soutien inconditionnel pour Israël et ses politiques martiales. Car de la même façon que le continuum de la victimisation jouait dans un sens, il joue aussi dans l'autre: la menace perçue ici est amalgamée à celle de là-bas et Israël devient le seul refuge pour les Juifs du monde entier au cas où… Et Israël joue depuis l'origine sur cette dimension : "si demain vous devez vous faire lyncher par les  antisémites, les Arabes ou que sais-je encore en Occident, alors il ne vous restera plus qu'Israël où aller, dès lors il vous faut soutenir ses politiques éradicatrices envers et contre tout".


Sans être antisémites pour autant - au contraire de que certains essayent de faire passer comme message -, les amalgames mentionnés ci-dessus sont bien plus dévastateurs en ce qu'ils sabotent toute tentative de compréhension réciproque de la souffrance de l'autre. De la même façon que le refus obstiné d'Israël d'admettre que le fait de revendiquer cette mémoire et d'en assumer la dramatique exemplarité devant l'Histoire condamne à la recherche de l'excellence et à la construction d'une société meilleure qui devrait tourner le dos à ces méthodes issues des pages les plus sombres de notre histoire commune. Aujourd'hui, par ignorance, par mépris, par peur, par préjugé, par haine, chaque communauté est devenue imperméable à la douleur et à la souffrance de l'autre, ce qui empêche la compréhension profonde des logiques de fonctionnement de chacun et de pouvoir discerner quelles seraient les paroles, les gestes, les actions qui pourraient apporter sécurité et assurance à l'autre que son existence même, individuelle et communautaire, n'est pas remise en question.


Seuls le dialogue et les échanges tels que ce soir, le dialogue interculturel et interreligieux, les rencontres et les projets communs pourront permettre de développer la confiance nécessaire pour pouvoir concrètement affronter ces peurs et ces incompréhensions réciproques.


Tant que les musulmans (entre autres) ne prendront pas conscience qu'un des principaux moteurs - sinon le moteur principal - de la violence d'Israël est la peur des communautés juives d'Occident et qu'ils ne prendront pas les mesures nécessaires pour adresser cette problématique de façon intelligente, posée, sensible et humaniste, Israël a encore de beaux jours devant lui - même si cette aventure sanglante prendra fin un jour car une telle situation ne pourra pas être indéfiniment prolongée. 


C'est là, selon moi, que réside l'espoir pour la paix en Occident et c'est là qu'il convient de travailler d'urgence.


Je vous remercie.


© M. Privot 2009



1 Qu'il s'agisse ici de l'identité revendiquée ou attribuée de l'extérieur - les deux n'étant pas nécessairement en correspondance. Il ne s'agit pas ici d'un jugement de valeur, ni de stigmatiser une communauté de foi particulière, mais de s'interroger sur les perception d'une manifestation.


2 Pour tenter d'être à nouveau très clair : je parle ici de la qualification de ces réalités, vues de l'extérieur. Le génocide et le crime contre l'humanité ont des définitions précises en droit international. Ceci étant dit, je ne délégitime pas la perception, la thématisation sous forme d'holocauste de leur propre expérience de l'horreur par les Gazaouis eux-mêmes en l'occurrence. Parler d'holocauste peut peut-être leur permettre de donner un sens à leur réalité, mais ce n'est absolument pas le cas des l'immense majorité des manifestants de Belgique, dont le référentiel épistémique - si je puis dire - est radicalement différent et au sein duquel l'Holocauste renvoie à une réalité spécifique, sans aucune mesure avec la réalité de Gaza. C'est notamment à ce niveau que la confusion est dangereuse et improductive.

#2 : Claquer la bise, serrer la main - quand mon paradis dépend de la façon dont je te dis bonjour

Cette pratique, peu connue il y a encore une trentaine d’années au sein des communautés musulmanes, s’est répandue dans les milieux conserva...