30.1.10

Pour se saborder, les musulmans n'ont besoin de personne !

Autant vous mettre tout de suite dans la confidence, je suis d'humeur à dézinguer. Franchement.

La cause de mon émoi ? Une overdose d'imbécillité cathodique sur l'islam et les musulmans, par (surtout!) et pour (ou plutôt contre) les musulmans.

La semaine dernière a connu la diffusion de deux émissions différentes, au demeurant très intéressantes et pas si mal faites à ce que j'ai pu en voir, sur quelques aspects des pratiques religieuses des musulmans en Belgique.

Sur la RTBF (francophone), l'émission "Question à la Une" abordait la question du port du foulard, un sujet très sensible, susceptible de tous les dérapages, mais magistralement traité, en définitive, par Pascale Bourgeaux, dont l'ingénuité - derrière des questions a priori banales - a souligné le grand esprit d'a-propos et la maîtrise du sujet. Du côté néerlandophone, l'émission "In God's Naam", sur la chaîne Een a centré la focale sur une association de converties ainsi que leurs discours et pratiques.

Les sujets étaient différents, les acteurs, des gens du quotidien et les journalistes, ma foi, ont bien fait leur travail. Si, en tant que musulmans ayant un minimum d'amour propre, beaucoup d'entre nous ont dû éteindre leur téléviseur en souffrant le martyre à force de s'être faits tirer des balles dans le pied par ses propres coreligionnaires, on ne pourra en tout cas pas le leur reprocher. Ce fut un vrai festival !

Des exemples ?

Un des moments mémorables du reportage de "Question à la Une", fut ce débat à l'Athénée Verdi, à Verviers - un des rares établissements autorisant pourtant le port du voile pour les adolescentes (mais pour combien de temps encore?).

Tout un programme ! Le débat ressemblait tout d'abord à une tentative d'évangélisation dans la disposition même de la salle (que mes amis chrétiens me pardonnent !). Les élèves d'un côté - eux-mêmes divisés en deux camps: les "mumus" d'un côté, les "non-mumus" de l'autre! Je suis prêt à parier que ce n'était pas voulu, mais cela en dit long sur la façon dont le débat se polarise par défaut. Une seule demoiselle en foulard (regarder le 1er rang à droite) s'était égarée dans le camp "non-mumu", mais, par la suite, face à une dynamique de groupe décidément bien négative, dut se résoudre à, littéralement, changer de camp. Franchement, c'est triste d'en arriver là, mais ce simple fait souligne déjà cruellement la difficulté d'aborder cette question de manière apaisée - encore faut-il avoir la volonté de mettre en place un cadre adéquat et modéré de façon professionnelle pour tenter de maintenir une dynamique de groupe inclusive et respectueuse. On en était très loin.

En effet, face aux jeunes, il y avait la préfète de l'Athénée, campant sur une conception très particulière - c'est un euphémisme - de la neutralité de l'enseignement et une seule intervenante : une passionaria de la lutte contre les discriminations intracommunautaires dont sont victimes nombre de musulmanes (mais pas à des taux plus élevés que dans d'autres communautés, je vous rassure), qui fait par ailleurs un travail extraordinaire, mais dont le discours de plus en plus radical et simpliste sur certains aspects ne fait que lui aliéner de façon exponentielle la communauté avec laquelle elle doit travailler, et ce de manière inversement proportionnelle à celle dont elle se fait chouchouter par d'autres milieux qui espèrent la récupérer pour régler leur compte avec l'islam et les musulmans. Par contre, aucun autre intervenant, sociologue, anthropologue, islamologue, représentant du Centre pour l'Egalité des chances ou que sais-je encore qui aurait pu apporter un peu de nuance à un prêchi-prêcha unidirectionnel et convaincu de son bien-fondé, de son droit, de sa justesse et de sa justice. J'aurais été dans cette salle, je crois que j'aurais éprouvé des difficultés à ne pas me solidariser avec ces jeunes musulman(e)s - même si je ne partage en rien leurs positions. J'y arrive. En tous cas, l'organisation d'un tel spectacle, d'un point de vue pédagogique visant à l'ouverture et à l'apprentissage, par de futurs jeunes citoyens, du débat démocratique, contradictoire et informé me laisse pantois. Manifestement, il y a encore du chemin à faire.

Je n'aborderai pas les échanges nourris entre l'intervenante et ces jeunes à coup de versets coraniques dont ni les uns ni les autres ne maîtrisent le contenu ni les finalités. A nouveau, c'est pitoyable et absolument infécond, mais bon, le format de ce type de discussions nous a depuis longtemps habitués à ce genre de dérives stériles qui n'éclairent absolument pas les enjeux du débat, ni dans un sens, ni dans un autre. Après tout, chacun croit ce qu'il/elle veut, qu'il/elle soit plus ou moins progressiste, libéral(e) ou conservateur/trice. A chacun son trip ou son Coran ! La question fondamentale, c'est comment fait-on pour vivre tous ensemble sans s'entre-déchirer et en se donnant un maximum de liberté individuelle dans le respect des libertés des autres. Et les versets coraniques généralement cités dans ce type de débat (i.e. sur ce que couvre ou non le foulard) ne sont pas des plus éclairants en la matière.

Ce qui m'a par contre littéralement flingué, en tant que musulman se voulant porteur d'une foi (si possible) rayonnante, ce sont deux arguments repris par mes jeunes coreligionnaires.

A l'une de leurs condisciples qui s'étonnait - à raison ! - que les jeunes musulmanes ne pouvaient lire le Coran pendant leurs règles, une jeune répondit que c'était sa religion qui voulait ça et qu'elle le respectait, dit avec l'aplomb de celle qui détient la Vérité divine. La boulette !!! A bon ?! Mais où a-t-elle donc lu/vu/entendu ça ? Pourquoi prend-t-elle pour argent comptant la plus machiste et rétrograde des lectures conservatrices d'un verset disant que ne peuvent "approcher du Livre que ceux qui se purifient?". C'est sur ce verset que des obscurantistes des temps passés interdisaient l'enseignement du Coran, voire même de l'arabe, à des non-musulmans. Quand on veut faire oeuvre de stupidité, on trouve toujours de l'eau à amener à son moulin ! Mais en l'occurrence, soyons précis, à mes yeux, ce n'est pas cette jeune fille qui est responsable, et je ne lui jette en rien la pierre, car elle n'est que l'indicateur de l'ignorance crasse dans laquelle baigne toute une communauté et que perpétuent de commun accord parents (pères ET mères), professeurs de religion islamique, imâms et tous les autres !!! Bien sûr, il y a une interdiction dérogatoire pour la pratique de la prière rituelle, pour des raisons de confort en faveur de la gente féminine, mais cette suspension ne peut en aucun cas être étendue, comme beaucoup le font, à l'ensemble des pratiques religieuses et a fortiori à la fréquentation du Coran, fondement même de toute méditation en islam. La conséquence de telles affirmations serait que les musulmanes seraient "en vacances" de toute pratique religieuse 1 semaine par mois, contraintes à l'éloignement de Dieu, coupées des sources mêmes de leur spiritualité… Dispense de prière ne vaut pas dispense de spiritualité, dont une des portes évidentes reste la lecture du Livre saint ! Pas étonnant que ce déni d'accès au savoir religieux pour les femmes pour de telles causes, fassent sortir de leurs gonds toutes celles et ceux, musulmans ou non, qui prônent l'égalité des sexes en islam !

Le deuxième grand moment, c'est quand une jeune fille ne portant pas le foulard déclara clairement qu'elle était "en erreur", "dans le péché", de ce simple fait et qu'elle encourrait l'enfer, rien de moins ! Ainsi, Dieu, dans Son infinie Justice, serait prêt à damner une femme parce qu'elle n'aurait pas porté ce petit bout de tissu sur la tête ?

Quelle rage devant les dégâts causés par une trentaine d'années de salafisation des discours des mosquées, des enseignants, de ces parents "born-again", de cette littérature musulmane de caniveau déversée par conteneurs entiers dans toutes les communautés musulmanes du globe et qui ont ancré dans les esprits de telles inepties ! Ne pas porter le foulard n'impliquerait qu'un manque de degré de perfection éthique, mais n'a jamais eu pour conséquence la nécessité d'un quelconque acte de contrition, ni l'application d'une quelconque peine légale (genre coupage de main ou autre joyeuseté), ni la mention d'un quelconque châtiment en enfer… et ce dans l'ensemble de la littérature jurisprudentielle savante (je ne parle pas des rigolos inondant le cyber espace de leur "fatwarhée"). Alors, quoi ? Les leaders communautaires musulmans de ces trois ou quatre dernières décennies devront un jour faire face à leur responsabilité écrasante dans la large dissémination de telles confusions qui, pour les spécialistes du droit musulman, remettent en cause- de façon peut-être anodine pour le commun - des équilibres fondamentaux entre praxis, morale et théologie voire métaphysique. Quel serait le statut d'un Dieu qui condamnerait à la Géhenne une âme pieuse ne mettant pas le foulard, mais pardonnerait au voleur ou à l'adultérin ?

Mais la cerise sur le gâteau, ce fut certainement cet inénarrable enseignant de religion islamique, déconnecté du réel, suivant une rhétorique simpliste et d'un autre âge sur les voyages des filles, le péché causé par le non port du foulard, la mixité… Heureusement que l'inspecteur des cours de religion islamique interviewé par la suite a recentré à juste titre le contenu de l'enseignement officiel et semblait vouloir prendre des mesures face à cet enseignant en pleine dérive identitaire, apparemment signalé depuis plusieurs années déjà. Nécessaire, certes, mais je crains bien que cet enseignant ne soit hélas que la pointe émergée de l'iceberg : cet homme a finalement péché (un comble) par excès de naïveté ou de confiance envers l'implacable logique de son raisonnement pour parler ainsi face caméra. Comme quoi, toutes les théories sur les stratégies de taqiyya des fondamentalistes ne sont souvent qu'un "fumage de carpette". Mais combien partagent-ils des opinions similaires et forment notre jeunesse, sans toutefois le dire face caméra ? Je n'ai pas l'intention de décrédibiliser ni de jeter la suspicion sur des professionnels qui font un travail difficile, souvent sans filet, et qui sont aussi de très bons modérateurs sociaux pour des jeunes en pleine d'adolescence, mais soyons assez honnêtes pour reconnaître que cet enseignant ne faisait ici qu'énoncer des opinions répandues à tous les étages de la communauté.

Et c'est ça qui me désespère pour deux raisons principales, au-delà des déclarations anecdotiques de cet enseignant et des deux élèves. Tout d'abord, elles ne sont que le reflet de conceptions et d'idées majoritairement répandues dans la communauté musulmane. Ensuite, ce genre de déclarations assumées sans arrière-pensées ne font que nourrir les discours islamophobes de plus en plus prégnants dans la communauté majoritaire, genre "vous voyez, on vous l'avait bien dit".

Je passerai rapidement sur les délires de certains parents d'élèves de la seule école primaire islamique de Belgique qui interdisent à leurs filles d'aller à la piscine ("on pourrait les draguer", à même pas 12 ans, dans le cadre d'un cours organisé par une école islamique ????? Ce serait à désespérer de tout !) pour mentionner le choc créé au nord du pays, dans le cadre de l'émission "In God's Naam", par les déclarations d'une des responsables de l'association de converties flamandes al-Minara affirmant, sans l'once de la moindre gêne, que les musulmans avaient le droit de mentir aux non-musulmans selon le Coran… Là, on atteint le fond ! Si au moins, comme dans la "Petite Mosquée sur la Prairie" (première saison), elle avait ajouté "sourate 125, verset 53" (ndla le Coran ne compte que 114 sourates !), on aurait encore pu en rire ! Même pas ! C'était sérieux ! Du pain béni pour le Vlaams Belang et compagnie ! Mais encore une fois, le pire, c'est que beaucoup de musulmans (en Europe surtout) en sont convaincus - parce que cela les arrange bien, évidemment ! Mêlant désinformation, mensonge, stupidité et ignorance, comment celles et ceux professant ce genre d'inepties espèrent-ils que la communauté majoritaire va leur faire confiance quand ils prétendront que l'islam est une religion de paix, de respect, plaçant la fidélité aux pactes et aux engagements, individuels comme collectifs, au coeur même du fonctionnement équilibré de toute société, majoritairement musulmane ou non ? A désespérer, vous dis-je !

Alors que certains s'offusquent sur l'Internet de l'approche prétendument biaisée de ces émissions, je rétorque qu'elle ne font que mettre en lumière le marasme moral et intellectuel dans lequel notre communauté est embourbée jusqu'au cou ! Le problème pour moi n'est pas que cette information soit relayée ou mise en exergue, mais qu'elle existe, tout simplement. Et là, il ne faut pas chercher d'autres coupables que nous-mêmes, musulmans, à la propagation d'une mauvaise image de notre communauté. Ce serait trop facile !

Heureusement ! Heureusement ! Tout ne fut pas négatif et je veux remercier de fond du coeur les quelques responsables communautaires interrogés qui ont montré que les musulmans pouvaient faire autre chose que dériver : l'inspecteur des cours de religion islamique et ses collègues, Jamal Zahri, président de Islamic Relief Belgique ou encore le futur imâm belge ou encore Kebir Bencheikh, trésorier de l'association liée à l'école islamique, dont j'ai été heureux de constater l'évolution importante vers des positions plus modérées en matière de moeurs, en comparaison avec certains de ses discours d'il y a quelques années, si je ne m'abuse, quand il était un opposant assez acharné contre le plan d'action national marocain pour l'intégration des femmes au développement. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer de rien !

Mais rassurez-vous, quand même, les musulmans ne furent pas les seuls à atteindre des sommets ce jour-là ! Je serais injuste de ne pas au moins mentionner l'une ou l'autre perle.

Je décernerai sans hésitation la médaille de la talibanisation de nos sociétés majoritaires au proviseur de l'Athénée Verdi qui deale avec une élève la longueur de sa jupe en échange de la réussite de son année scolaire ! Si les discours musulmans ultra-conservateurs sur la longueur de la jupe, de la barbe ou du hijâb me donnent de l'urticaire, que dire alors de telles aberrations ? Vers qui les gens de bon sens qui refusent de se faire enfermer dans tous débats sur les centimètres en trop ou en moins pourront-ils encore se tourner si les autorités, quel que soit leur niveau de pouvoir, se mettent, elles aussi, à spéculer ou édicter des normes en la matière ! C'est véritablement la fin de nos sociétés libérales qui est ainsi mise en oeuvre - et, pire encore, sous le prétexte de lutter contre ceux qui remettent précisément en cause leur libéralisme ! Quel cauchemar ! Quelle déchéance ! Réveillez-moi s'il vous plaît ! Réveillez-vous !

J'espère avoir l'occasion de revenir dans un autre post sur ce blog sur les graves dangers que peuvent entraîner des tentatives maladroites ou mal réfléchies de répondre à l'hystérie normative de certains par une hystérie normative tout aussi aliénante en fin de compte, car noyant toute liberté individuelle dans une foule de détails empoisonnant la vie.

On n'est vraiment pas sorti de l'auberge ! Les islamophobes de tous poils n'ont pas de soucis à se faire. Ils pourront compter pendant longtemps encore sur de nombreux musulmans pour leur offrir du grain à moudre.

27.1.10

Minarets: « Ne nous battons pas pour un symbole »


Le contexte : interview publiée dans le Soir du mardi 1er décembre 2009, suite au référendum helvète sur l'interdiction de futures constructions de minarets.

Michaël Privot est islamologue, membre déclaré des Frères musulmans et porte-parole de la plus vaste mosquée reconnue de Wallonie, à Verviers.

Que vous inspire la victoire inattendue du« oui » au référendum sur l’interdiction des minarets, en Suisse ?

Beaucoup de tristesse. En rester à ce degré de crispation, après 50 ans de présence des musulmans en Europe, c’est lamentable. C’est à la fois grave pour la société, qui tarde à intégrer sa composante musulmane, qui maintient un statut de citoyens de seconde zone, et grave pour les musulmans, qui n’ont pas su développer l’intelligence du contexte, en tant que minorité.

Les musulmans coresponsables ?

Ma communauté a la responsabilité de développer des ressources pour aller de l’avant. Par exemple, au lieu d’investir dans l’édification de mosquées, elle pourrait davantage investir dans les institutions sociales. Nous ne devons pas être que des quémandeurs de droits. Nous devons aussi être parties prenantes aux grands débats de société. Les intellectuels musulmans, à quelques exceptions près, restent très timorés. Ils ne prennent pas position. La communauté doit davantage manifester son engagement citoyen.

Vous l’avez fait, à Verviers, en refusant d’« imposer » un minaret au voisinage…

Le minaret n’est pas un élément constitutif du culte islamique. Sa fonction essentielle est de porter l’appel à la prière et marquer physiquement la présence de la mosquée. A Verviers, nous avons fait le choix de nous en passer. Pour ne pas crisper. Nous sommes convaincus que notre présence spirituelle doit davantage se marquer par le réseau que la communauté des fidèles crée, autour de la mosquée, que par un minaret. L’essentiel, c’est de rayonner en contribuant à la vie de la cité par un engagement citoyen réel. Pas de se battre pour un symbole.

C’est aussi la thèse du recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, auquel vous consacrez un livre d’entretiens (1).

La grande mosquée de Bordeaux ne comportera ni minaret, ni coupole : une vraie mosquée républicaine !… Tareq Oubrou défend l’idée qu’il faut négocier la présence et la visibilité de l’islam, par rapport à son contexte. Il s’agit de déterminer la « bonne dose » de religion à injecter dans le culturel. A cet égard, le vote suisse est un bon sondage : il montre que les Européens ne sont pas prêts. Doit-on se battre pour un minaret qui va heurter ? Ne vaut-il pas mieux concevoir des mosquées en dialogue avec leur environnement, qui deviennent nos mosquées à tous ?

« Profession imâm », Tareq Oubrou, Albin Michel, 2009, 249 pages, 16 euros.

Propos recueillis par RICARDO GUTIÉRREZ

#2 : Claquer la bise, serrer la main - quand mon paradis dépend de la façon dont je te dis bonjour

Cette pratique, peu connue il y a encore une trentaine d’années au sein des communautés musulmanes, s’est répandue dans les milieux conserva...