18.9.12

Innocence, haine et tragédie


Mise à jour le 24/09/2012

Et c’est reparti ! Une bande annonce d’un film « stupidissime » sur l’islam, les musulmans et leur prophète et des émeutes – parfois meurtrières – éclatent à l’instigation de prêcheurs de haine, semblant donner raison aux industriels de la détestation qui ont produit à dessein ce brûlot. Dans l’esprit de beaucoup d’honnêtes gens, tout se mêle : islam, violence, intolérance, liberté de parole, Huttington, là-bas, ici, mon gentil voisin Mahmoud et les Ahl al-Sunna wa-l-Jamaa au Pakistan : une chakchouka pas possible, mais dont le résultat est de creuser les antagonismes. Pari réussi pour le producteur de l’« Innocence des Musulmans » !

La vérité est évidemment beaucoup plus complexe et, à l’heure où j’écris ces lignes, nous ne disposons pas encore de toutes les informations nécessaires pour comprendre exactement l’entrelacs complexe des intérêts opposés mais très complémentaires en jeux dans cette affaire décidément beaucoup plus subtile qu’il n’y paraît.

Avant d’aller plus avant – note positive ! – remarquons que la couverture médiatique de cette affaire est, dans l’ensemble, plus nuancée que la couverture de l’affaire des caricatures danoises. Des leçons semblent donc tirées des errements du passé et il est important de le souligner : je constate que les condamnations sans ambiguïtés des violences par les autorités religieuses musulmanes d’Occident et d’Orient trouvent mention dans la presse occidentale, déforçant d’emblée l’impression d’un unanimisme musulman face au film l’« Innocence des musulmans ».  Soyons nous-mêmes sans détour à ce propos, sait-on jamais que mes propos pourraient être mal interprétés : il est évident que les débordements haineux et violents commis par certains musulmans sont absolument condamnables. Nous espérons que les autorités compétentes mettront en œuvre tous les moyens nécessaires pour appréhender et punir les coupables de violence, d’exactions et de meurtres, mais également les prêcheurs de haine qui ont lancé ces gens à l’assaut d’individus et d’intérêts américains, tout en se terrant comme des pleutres à l’arrière des troupes. Pour être cynique, il est fort peu probable que ces instigateurs seront jamais amenés devant un quelconque tribunal.

Commençons tout d’abord par les pyromanes ayant mis le feu au poudre : il apparaît maintenant clairement qu’il s’agit de gens liés d’assez près au groupe de Pamela Geller, « Stop the Islamization of USA », qui est réunie au sein de l’organisation faîtière « Stop the Islamization of the Nations » avec son pendant européen « Stop the Islamization of Europe » dont Philip De Winter, président du Vlaams Belang, est un des fondateurs. Une récente enquête de Canal+ a montré qu’il s’agit là d’une véritable industrie de la haine anti-islam bénéficiant de soutiens financiers considérables qui lui ont permis de s’attirer une grande visibilité, y compris au sein des leaders du Tea Party et des Répblicains. Newt Gingrich s’est d’ailleurs fait les échos de leurs théories fumeuses sur l’imposition de la shariah aux USA (voir sur le sujet un très bon article d'Agora Vox, une fois n'est pas coutume sur les liens avérés de Geller avec cette affaire[24/09/2012]).

Le film est donc soutenu activement par des gens ayant pour visée de démontrer que l’islam n’est pas une religion mais une idéologie politique totalitaire et violente menaçant un Occident chrétien mollasson et en pleine décadence. Par les réactions attendues que ce film suscite, ils ont frappé fort et réussi à imposer leurs thématiques dans la dernière ligne droite de l’élection présidentielle américaine. Chapeau bas les artistes.

Ceci étant, je ne peux manquer de souligner la perversité de la démarche initiale du producteur (le fameux Nakoula Basseley Nakoula, a.k.a. Sam Bacile, au passé peu reluisant) qui s’était fait passer pour juif et avait affirmé avoir convaincu 100 donateurs juifs de soutenir son projet de film – causant des sueurs froides en Israël (qui n’arrivait pas à l’identifier) et dans toutes les communautés juives face à la marée d’antisémitisme que cela aurait pu provoquer. L’intox n’a pas duré plus de 48 heures, heureusement, et il est apparu que le coup venait d’extrémistes coptes réfugiés aux USA et soutenus par le pasteur évangéliste de droite flambeur de Corans, Terry Jones.

On apprend que les acteurs n’auraient pas compris dans quel scénario ils jouaient, que tout a été manipulé au montage… (voir les démêlés de l'actrice Cindy Lee Garcia avec la justice à ce propos[24/09/2012]). Bref, une embrouille carabinée dont l’objectif était la provocation – haineuse – délibérée. La défense de la liberté d’expression n’empêchera pas de condamner ce film pour ce qu’il est : une insulte révisionniste empilant 1400 ans de préjugés sur l’islam, son prophète et les musulmans. Rien de très nouveau en quelque sorte, si ce n’est la mise en scène qui rend le tout particulièrement indigeste.

Le rapprochement, en terme de démarche, est souvent fait avec les caricatures danoises. J’affirmerais que nous ne sommes pas du tout dans la même configuration : au Danemark, il s’agissait essentiellement d’une affaire interne (le lectorat du Jyllands-Posten ne dépassant pas la frontière danoise), propre au débat dano-danois où l’on aimait à se faire peur en opposant les défenseurs de la liberté de parole face à une communauté musulmane – prétendument intolérante et menaçant les chères libertés acquises – ne représentant que quelques % de la population. L’impact et  l’ampleur de la crise laissèrent les Danois pantois et désemparés, avec un contentieux durable entre la population majoritaire et ses minorités musulmanes.

Dans le cas du brûlot qui nous concerne, il s’agissait d’un effort prémédité, visant en premier lieu à déstabiliser le débat démocratique égyptien naissant et à radicaliser la communauté copte par une stratégie de billard à cinq bandes comptant sur le fait que l’assaut espéré des fanatiques musulmans contre les coptes les forceraient à se révolter, tout en entraînant éventuellement Israël et les Etats-Unis dans la tourmente comme cerise sur le gâteau. Les auteurs du film capitalisaient sans aucun doute sur l’expérience danoise précisément. L’intention de nuisance internationale était à l’origine même de la démarche. Autre différence : même si les caricatures danoises étaient de qualité inégale, il y avait au moins un geste artistique à la base. On en est très loin avec l’«innocence des musulmans».

Du côté des excités musulmans qui se sont mis en mouvement ça et là, il est intéressant de porter quelques éclairages sur les logiques qui ont probablement mené à ces actes inqualifiables – éclairages qui ne sont d’aucune manière une apologie de ces derniers. Cependant, pour tordre le cou au canard de la prétendue violence intrinsèque de l’islam, il est fondamental de se rendre compte que ces débordements haineux n’apparaissent pas ex-nihilo, hors toute rationalité.

1.     Il est intéressant de noter que les débordements violents ont eu lieu dans des pays où les Etats sont faibles ou en pleine déliquescence (Lybie, Egypte, Pakistan, Bengladesh…). Là où les Etats sont forts ou à tout le moins organisés et stables, les choses se sont passées relativement calmement – voire rien ne s’est passé.

2.     Les manifestations de contestations suivent aussi étrangement les lignes de classes : pauvres et peu éduqués contre éduqués et bourgeois.

3.     Ces débordements ont surpris tout pareillement les dirigeants arabes – y compris islamistes conservateurs – qui n’avaient pas vu le coup venir, comme le rapporte John Esposito, grand analyste du monde musulman.

4.     Les débordements s’inscrivent dans des contextes politiques locaux et nationaux particuliers qui voient l’affrontement (Egypte, Tunisie et Libye) entre les Frères Musulmans au pouvoir ou presque et les salafistes politisés qui cherchent également à pousser les FM, maintenant au pouvoir, à la radicalisation ou à prouver leur incapacité à défendre le « vrai islam » et à prendre les mesures politiques nécessaires. Il est très intéressant de rappeler que pendant le dernier quart de siècle de dictature en Egypte, Libye ou Tunisie, ces salafistes se sont montrés d’une discrétion à toute épreuve et ont été les derniers à sauter sur le train de la contestation. Maintenant que l’espace de la contestation politique et de l’expression publique est assez libre, et que la crainte des matraques et de la tôle est enfin éloignée, ces révolutionnaires de la vingt-cinquième heure tentent d’imposer leur agenda. (Certains semblent d'ailleurs suggérer que l'attaque contre l'ambassadeur US en Libye était planifiée de longue date et l'on se réjouit que le peuple de Bengazi ait pris les armes pour bouter les salafistes probablement responsables des violences de ces dernières semaines [24/09/2012]).

5.     Pourquoi s’en prendre aux intérêts des USA alors que le film est une initiative privée ? Rappelons que les manifestants ont rarement des BAC+5 en politique internationale d’une part, mais que d’autre part beaucoup de musulmans ressentent avec émotions les frappes de drones faisant de nombreuses victimes civiles ordonnées par le Pentagone (et Obama), la partialité totale des Administrations US en faveur d’Israël ainsi que la présence « d’armées d’occupation US », il y a peu en Iraq, mais toujours en Afghanistan. Cela ne fait quasiment jamais les titres des médias européens ou américains, mais cela buzze considérablement dans les pays à majorité musulmane plus directement concernés (et parfois dont le paysage médiatique est plus ouvert qu’en Europe et aux Etats-Unis, à savoir moins aligné sur la pensée unique) et dont les populations se demandent si elles ne sont pas les prochaines victimes sur la liste.

6.     A cela on ajoutera (ou on commencera par) la situation économique catastrophique que doivent affronter les Libyens, les Tunisiens, les Egyptiens et bien d’autres. Près de 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté dans certains cas, générant des frustrations qu’un pouvoir islamiste, Frère musulman ou autre, ne peut guère gérer à coup de slogan identitariste.

Dans de telles conditions, il suffit de peu de chose pour enflammer les esprits et exprimer sa frustration de la manière parfois la plus abjecte qui soit. Remettons les pendules à l’heure encore une fois : on parle de quelques dizaines de milliers d’excités – qui se sont fait entendre à grand bruit – contre plus de 1,2 milliards de musulmans qui ont simplement soulevé les épaules et sont passés à autre chose.

Reste une question intéressante : pourquoi certains prêcheurs de haine à l’agenda politique évident choisissent de lâcher leur meute contre ce genre de brûlot plutôt que de manifester contre la vie chère, l’injustice de la répartition des richesses dans leur pays, les frappes de drones ou que sais-je encore ? La réponse va de soi.

Des pistes de solutions ? Il serait très présomptueux de ma part de prétendre apporter quelque pierre à l’édifice, mais je souhaiterais poser encore une fois la question du deux poids, deux mesures en matière de liberté d’expression. Comme je l’ai déjà rappelé à diverses reprises : « La société majoritaire utilise l'argument de la liberté d'expression pour soi-disant critiquer l'islam, en mobilisant abusivement l'histoire de la bataille des laïques en Europe contre la mainmise de l'Eglise catholique sur les libertés de pensée, de conscience et d'expression. La liberté d'expression fut un droit puissant qui a permis aux libres-penseurs, mais aussi à d'autres minorités religieuses en Europe, d'exister dans une société majoritairement catholique. Aujourd'hui, c'est la société majoritaire qui revendique le droit à la liberté d'expression pour dire tout et n'importe quoi à propos d'un groupe, d'une conviction minoritaire qui ne détient aucun des éléments du pouvoir politique, économique, judiciaire et médiatique. »

Certes, la limite ultime de la liberté d’expression est l’incitation à la haine (raciale ou autre) envers un individu ou un groupe particulier. En l’occurrence, l’« innocence des musulmans » est à mon sens borderline : la bande annonce ne montre pas de propos directement haineux (encore que les musulmans sont présentés systématiquement comme des brutes obscènes assoiffées de sang – ça ne vous rappelle rien ?), mais construit en « bas-relief » un justificatif à la haine du musulman et vise à renforcer le climat islamophobe. Le tout sous le parapluie de la liberté d’expression qui, à nouveau, ne protège plus une minorité contre l’arbitraire d’une majorité (nationale et globale en l’espèce), mais permet à des membres d’organisations faisant partie de communautés majoritaires d’insulter en toute sérénité une foi et des communautés minoritaires (je parle ici en matière de rapport de force/de pouvoir).

Je ne pense pas qu’il faille interdire le film d’une quelconque manière, mais je crois qu’il faudrait responsabiliser ses auteurs devant la justice, histoire de rappeler que la liberté d’expression s’incarne dans un temps, un lieu et un espace et n’est pas un droit en apesanteur. Je n’envisage pas ici une quelconque loi contre le blasphème (dont je réprouve l’idée même !), mais on pourrait imaginer le gouvernement US poursuivre en justice les auteurs du film pour les pertes subies par leurs actions réfléchies et programmées. Un tel procès n’aboutirait probablement pas, mais aurait le mérite de calmer quelque peu les ardeurs des boutes feu irresponsables, sans impacter la véritable critique intellectuelle et scientifique, le débat argumenté, tous parfaitement légitimes, tout blasphémateurs qu’ils pourraient paraître à certains.

Et je ne suis pas sûr du tout que cela soit une solution très praticable. Les démocraties libérales peuvent être singulièrement encombrées par leurs principes quand il s’agit de traiter avec des industriels de la haine, déterminés à ne respecter aucune des règles de la bienséance démocratique et à tordre les droits fondamentaux à leur avantage. A moins de donner sa faveur à une démocratie « interventionniste » visant à protéger les intérêts supérieurs de la collectivité en prenant les mesures coercitives éventuellement nécessaires et équilibrant les droits fondamentaux à une telle aune – mais cela suppose de partager un projet sociétal commun auquel serait soumises les institutions démocratiques comme outils d’émancipation.

Une option démocratique très différente des démocraties libérales actuelles dont le seul horizon est l’équilibre relatif ou formel des intérêts en présence, sans véritable vision directrice comme corollaire.

Bref, un problème toujours plus complexe qu’il n’y paraît de premier abord…

Réflexion à suivre.

11.9.12

Réponse au Prof. Dassetto


Réponse à l’analyse du Prof. F. Dassetto, intitulée « Sharia4 … all, Éléments d’analyse et de réflexion à propos d’un groupe extrémiste »[1], juin 2012, série « Papers on-line » du CISMOC-IACCHOS.

En conclusion de son analyse sur l’émergence et le discours du groupuscule Sharia4Belgium – à laquelle nous souscrivons amplement – le Prof. F. Dassetto nous fait l’honneur de nous citer longuement à titre d’exemple de réflexion intra-communautaire en progrès sur cette question (pp. 26-28).

Nous souhaitons cependant réagir à certaines conclusions du Prof. F. Dassetto qui trahissent considérablement notre pensée et tendent à nous renvoyer dos-à-dos avec Sharia4Belgium, ce que nous ne pouvons décemment accepter.

Faisant référence à un texte que nous avions publié sur notre blog[2] quelques jours après l’arrestation à Molenbeek d’une personne portant le niqâb et membre de Sharia4Belgium, M. Dassetto tire les conclusions suivantes que nous résumerions comme suit :

1)   créditant de manière émotionnelle les accusations de Sharia4Belgium, nous prétendrions que la police serait « un ramassis d’islamophobes et de racistes » ;
2)   nous proposerions une analyse dialectique simpliste que nous pourrions cristalliser de la façon suivante : des discours politiques islamophobes entraînent des violences policières qui génèrent à leur tour une radicalisation du type Sharia4Belgium ;
3)  en conclusion de notre texte, nous nous désolidariserions subrepticement des valeurs de la démocratie libérale et rejoindrions le camp de Sharia4Belgium.

Délaissant l’approche analytique fine et argumentée caractérisant l’essentiel de son article, M. Dassetto fait preuve, subitement et à notre grande surprise, d’une lecture tronquée et désagréablement orientée, laissant de côté les conditionnels et nuances que nous n’avions pourtant pas manqué d’apporter à notre propos.

S’il apparaît que ce dernier n’a pas été exactement compris, nous tenons donc à apporter les indispensables clarifications suivantes :

1) Utilisant le style qui nous est propre mêlant sarcasme, provocation à visée maïeutique et éléments d’analyse, nous avons entouré la relation de l’arrestation de la personne portant le niqâb des conditionnels requis et avons souligné à cette occasion les possibles dérives « de certains éléments de la police bruxelloise ». Nous n’avons en aucun cas donné crédit inconditionnel aux graves accusations de cette personne, ni ne nous sommes fait l’avocat d’une prétendue essentialisation des forces de l’ordre comme une institution raciste.

2)  M. Dassetto semble ne pas prendre en compte dans son analyse l’expérience négative de nombreux musulmans avec les forces de l’ordre – ici et ailleurs. Or, il convient de ne pas ignorer que les péripéties de la personne portant le niqâb – tout invraisemblables qu’elles puissent paraître pour quelqu’un issu de la majorité – ressortent du domaine du vraisemblable pour de nombreux musulmans. Cela a d’ailleurs suscité une émotion intra-communautaire palpable, pourtant passée inaperçue pendant plusieurs jours aux yeux des décideurs politiques et de la plupart des analystes. Ce fait vaut donc la peine d’être pris comme hypothèse de départ valide pour une réflexion sur le lien de causalité potentielle entre renforcement du radicalisme et l’apparente incapacité des démocraties ouvertes et libérales à gérer certains types de contestation ou de comportements marginaux autrement que par la violence (physique, symbolique…).

3)  Le nœud de notre argument est en conséquence le suivant : dans sa conférence de presse à laquelle nous réagissions, M. Belkacem attaquait de front notre démocratie car faillant à ses propres normes. Or, dans une démocratie ouverte et libérale, le respect par elle-même – en toutes circonstances – des règles que elle s’impose est fondamental pour emporter l’adhésion et la confiance de tous. En particulier de celles et ceux marginalisés pour différentes raisons et qui ont le plus à craindre la toute puissance et l’arbitraire de l’Etat tels qu’ils peuvent s’exprimer notamment au travers de l’action des forces de l’ordre.
Dans ce contexte, le comportement de ces dernières doit être particulièrement exemplaire pour respecter leur rôle de gardiens de la démocratie et éviter de devenir de manière trop évidente les supplétifs du maintien de l’ordre bourgeois à l’encontre (de certains segments) des classes populaires.
Leur faillite renforce donc « le sentiment de victimisation, d’injustice et d’insécurité et ne contribue en rien à l’établissement d’une collaboration fructueuse et confiante entre les communautés musulmanes et la police ». Nous n’avons ainsi jamais conclu à une réduction des processus de radicalisation de certains jeunes à une cause unique et simpliste, à savoir la violence policière dont ils pourraient être les victimes. Ce n’est qu’un facteur parmi d’autres.

4) Nous tentons également d’éclairer pourquoi « certains éléments » des forces de l’ordre, comme certain(e)s simples citoyen(ne)s, peuvent perdre tout contrôle d’eux-mêmes en présence de femmes en niqâb et en venir à commettre différentes formes de violence dans une recherche de justice individuelle.  Renvoyant aux rares études sur ce sujet, nous posons que ce type de comportements n’apparaît pas ex-nihilo, mais est indirectement généré par un contexte discursif particulier, pré-datant le 11.09.2001 et renvoyant le musulman à une altérité irréductible.
Ce discours est porté tant par des politiciens en quête de notoriété facile qu’un certain nombre d’intellectuels et d’activistes de tous poils bénéficiant d’une large surface médiatique. M. Dassetto semble pourtant ignorer, voire nier, l’effet performatif négatif des discours de rejet assénés presque quotidiennement depuis plus de deux décennies. Nous affirmons au contraire que  vingt ans de débats – plus ou moins intellectuels – sur l’islam et les musulmans dans lesquels ceux-ci sont encore trop souvent les objets et insuffisamment les sujets, ont eu un impact extrêmement négatif sur les perceptions partagées par les membres de la communauté majoritaire vis-à-vis des communautés musulmanes. Anders Breivik figure une des conséquences concrètes extrêmes – et non plus seulement théoriques – de ces rhétoriques et discours.

5)  Effectivement, prenant acte du rapport de force politique en présence, et nous incluant pour le coup, en tant que démocrate, dans la minorité musulmane, nous admonestons dans notre conclusion les démocrates de la communauté majoritaire à revenir à l’esprit des démocraties ouvertes et libérales pour les sauver de la faillite, au risque de faire le lit de tous les extrêmes. Car, en effet, la responsabilité princeps du changement ne peut venir que de la majorité détenant l’essentiel des leviers de pouvoir politique, médiatique ainsi que du capital culturel et symbolique. La responsabilité des minorités est de se préparer à s’engager dans l’ouverture et d’aller de l’avant l’occasion se faisant.

Il va de soi qu’à aucun moment, nous ne nous distançons de ces valeurs libérales et démocratiques, bien au contraire.

Une lecture moins cursive de notre texte – en corrélation avec nos engagements dans la durée tels qu’exprimés au travers de notre blog – aurait permis au Prof. Dassetto d’arriver aisément à cette conclusion plutôt que de tenter de nous ranger du « côté obscur de la force » pour les besoins de sa propre argumentation, et ce à l’encontre même de la lettre et de l’esprit de notre texte.

Michael Privot,
Citoyen engagé, islamologue et musulman
30 août 2012

1.9.12

Remembrance of the slave trade: a stepping stone towards equality for Black people in Europe


On the 23rd of August we celebrated the International Day for the remembrance of the slave trade and its abolition. Beyond “mere” commemorations, what’s at stake for European societies or, put differently, why does remembrance become such a hot topic when it’s about the fate of Black ethnic minorities and People of African descent in Europe?
Is it a prejudice to say that French intellectuals have a special gift for crafting concepts that generate deep debates which we most likely would not even have thought about, had those philosophers not been there to point them out?
A typical example of this is the issue of “concurrence mémorielle” (which could be translated as ‘remembrance contest’) – in the context of remembering some of history’s darkest chapters in the hope of avoiding a repetition of similar mistakes now or in the future.
It is also well known that collective memories – on which commemoration and remembrance ceremonies are based – are social constructs. Their instutionalisation results, among other things, from power relationships between competing interest groups and communities over time.
It took more than twenty years after the end of WWII for Jewish and anti-racist activists to get European societies to recognise the Holocaust as a pivotal event in mankind’s history, worthy of commemoration in the hope that the industrial genocide of a whole people would never ever happen again. More than twenty years! It crystallised when the surviving witnesses of this tragedy began to pass away and at a time when memories were already fading.
70 years down the line, the remembrance of the genocide of Roma and Sinti during the same war (Porajmos) has still not gained full legitimacy. Consequently, it is not self-evident for many Europeans to connect the violence faced by Roma communities throughout Europe today with the tragic outcomes of racism they faced during WWII. It goes without saying that this has a severe impact on majority population’s degree of acceptance of expressions of anti-Roma sentiment. Disappointingly but unsurprisingly, their response to anti-Gypsism is rather lenient in general.
The claim for remembrance and apology for the slave trade emerged just over a decade ago and has been increasingly gaining ground in public discourses in Western European societies. And it’s no coincidence that the term “concurrence mémorielle” was coined around that time – or at least started to proliferate – in public discourses.
From an activist anti-racist perspective, it says a lot about European societies and their uneasy relationship with anything to do with being Black or African.
The commemorations of the Holocaust and the Armenian genocide have increasingly gained ground within the remits of the “politically thinkable” (to hijack some of Mohammed Arkoun’s concepts) without any credible voice raising the issue of “concurrence mémorielle”. It is therefore revealing that European societies can suddenly no longer cope with the various memories of their multiple communities when the remembrance and the request for apology (not to even mention compensation) for the slave trade is the topic of discussion.
The idea that potential “concurrence mémorielle” could be a danger for the cohesion of European societies actually seeks to undermine the validity of such a claim supported by Black ethnic minority people, People from African descent, and many anti-racist NGOs throughout Europe from the outset. It undermines and, as a consequence, marginalises the issue and its proponents outside the realms of legitimate political debates and policymaking – subtle but efficient.
Insisting on the need for remembrance is therefore a political statement against the implicit hierarchisation of memories, and for the right to be part of universal history fully as a subject and not only as an object, and against the implicit hierarchisation of suffering between communities. It is therefore a clear rejection of the divisive feelings that such a concept instils between communities.
Yes, I am personally convinced that European societies are strong and bold enough to take all the memories of their communities on board because they do not in fact compete against one another, but rather challenge the majority narrative about European identity, values, cultures, dominant history telling, etc. If European societies would decide to take on this challenge upfront, European history and collective memory would be enriched by the contributions of the hundreds of communities and subgroups – recently established or not – in Europe.
But beyond this, remembrance and commemoration of the slave trade are only a stepping-stone on the long road to racial equality in Europe.
Indeed, too often, the impact of slavery on the construction of Black people in European mentalities is overlooked. It is the only human group who was declared to be without a soul by the highest Christian authorities of the time in order to circumnavigate the moral condemnation entailed by trading human beings – theologically born equal in God – except if one is not fully human.
By doing so, religious authorities actively participated in de-humanising an entire group of people. As a result, 150 years after the abolition of the slave trade, Black people are still perceived and constructed as second class citizens in European societies and seen as not being fully human – not necessarily at conscious level, but certainly in deep layers of the substructures of European cultures (see E.T. Hall for an exploration of this concept). [1]
This negation of Africans’ and Black people’s humanity continues to have a detrimental impact on Black ethnic minority people and people of African descent even in trivial daily interactions. For instance, when (White) Europeans take public transport and automatically, without even thinking about it, unconsciously choose not to sit next to a Black person, but rather next to a White person if offered the possibility.
Hundreds of years of dealing with Black people as if they were less human than White people have resulted in a deeply ingrained distrust, fear and rejection of Black people – the intensity of which varies from one individual to the other, depending on the context, the specific history of the area, etc. But it’s no exaggeration to state that no White European has been left unimpacted in his/her deepest self by this dramatic history of domination – anti-Black prejudices have been planted extremely deeply.
Black people trying to raise awareness about this situation and the racism they face daily – when they feel comfortable or courageous enough to dare – are mostly confronted with a complete lack of understanding from their White European counterparts for whom racism means violent behaviours. They therefore fail to perceive the presence and impact of this ingrained, structural, cultural racism against Black people in our societies.
Interestingly, many think that since the slave trade has been banned, European societies have moved on – forgetting that colonialism followed, introducing other (more or less subtle) forms of domination and power relationships between White and Black people. Most people don’t know that their parents or grandparents might even have visited a human zoo showcasing specimens of the “good savages” of “our colonies” a few decades ago. The over 2 million visitors of the last human zoo showcased in Paris were instructed not to throw food at the exposed “natives” as they were taken care of by the zoo authorities. In these outrageous places, the ideology of the hierarchy of races and the “natural” domination and supremacy of the White over the Black was enacted, given to be seen, felt, tested and internalised by the average White man on the street.
Strangely enough, most young people are unaware that such massive de-humanising exhibitions took place only two generations ago. Maybe as a result of late humanist guilt, obliteration of the existence of such abominations is now prevailing with a double perverse effect: it prevents from understanding and remembering how Western European societies came to organise such events on the one hand, but also from addressing the massive psychological impact – at the level of a whole society and its descendants – of attending such exhibitions, via sound debates and relevant educational practices.
Such a long history of de-humanisation, domination, minimisation, and exclusion, leading to ongoing racism and discrimination, has its roots in the slave trade. Remembrance and commemoration are therefore crucial steps on the long road leading to the recognition of its impact on the shaping of century-old negative cultural and social representations of Black people and People of African descent in European societies. Such recognition will help us to move beyond victimisation and towards healing and social and economic justice for all.
[1] Incidentally, but that could be the topic of another blog post as this is a side debate, this is where the backfire that a few chauvinistic Western intellectuals are trying to ignite by equating the European slave trade, the Arabic slave trade and the collaboration of a number of African individuals/groups/people in both trades with the view to deflect the responsibilities of European interests in dooming the future of Black ethnic minorities and Africans for centuries misses the point entirely. For the last two groups never theorised and applied the massive de-humanisation and subsequent inferiorisation of Africans and Black people, avoiding to some extent the disastrous impact this approach had in Europe, which was later even deepened by Darwinism – but that’s another story.

Published originally at: http://www.enargywebzine.eu/spip.php?article225&lang=en 

#2 : Claquer la bise, serrer la main - quand mon paradis dépend de la façon dont je te dis bonjour

Cette pratique, peu connue il y a encore une trentaine d’années au sein des communautés musulmanes, s’est répandue dans les milieux conserva...