25.10.12

Elections communales à Verviers – éléments d’analyse – suite et fin


Voir notre analyse des résultats des partis politiques

3) La question du militantisme

Depuis quelques temps déjà, la question du militantisme des candidats de la diversité était mise sur la table, en particulier au sein du PS (du local au national) et dans une moindre mesure au sein d’Ecolo et du Cdh. Le landernau politique verviétois n’a pas échappé à l’effet de mode et les résultats des élections communales de ce dimanche n’ont pas manqué de redonner des couleurs à cette (fausse) polémique.

Une fois encore, le coup vient dans l’immense majorité des cas de la part de candidats (ou représentants politiques) issus de la communauté majoritaire commençant à s’inquiéter pour le renouvellement de leur(s) mandat(s) vu leurs scores personnels en comparaison de certains candidats issus de la diversité. La peur du déclassement – fût-il symbolique en l’occurrence – pousse à tous les coups bas.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes tant que les candidats de la diversité se contentaient d’être des attrapes-voix communautaires, ramenant juste ce qu’il fallait pour être bien vus, mais pas trop pour devenir des acteurs sérieux de la scène politique locale ou nationale.

Et cela est d’autant plus vrai que l’on assiste depuis une dizaine d’années à la montée de candidats de la 2ème G, très à l’aise avec les différentes facettes de leurs identités multiculturelles, éduqués dans les meilleures universités et maîtrisant parfaitement les codes et usages de la société majoritaire. Et qui veulent faire entendre leur voix, participer à la vie de leur formation politique, y compris dans les instances de décisions internes en prenant appui sur leur grande légitimité électorale, en opposition apparente avec les candidats de la communauté majoritaire, militants de longue date au sein de leur parti, mais aussi parfaits apparatchiks.

Très loin des attrapes-voix de convenance de la 1ère G qui se contentaient d’un strapontin communal ou parlementaire mais ne remettaient jamais en cause la hiérarchie des pouvoirs au sein de leur parti, ces candidats de la 2ème G chamboulent les habitudes et les plans de carrières politiques de quelques uns qui espéraient que de longues années de collage d’affiche et d’intrigues internes pour choisir le bon cheval dans le sillage duquel il suffirait de s’inscrire pour être tiré vers les sommets, leur apporteraient la légitimité nécessaire pour prétendre à un poste à responsabilité et ses prébendes de toutes sortes.

On peut comprendre que cela génère une certaine animosité et de grandes frustrations d’égos.

Reste que l’on ne peut indéfiniment avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière et qu’un rééquilibrage des pouvoirs doit avoir lieu au sein des formations politiques.

Certes, le militantisme dans son parti d’adhésion est très important, car il permet de s’imprégner des valeurs véhiculées par telle ou telle formation. En particulier à gauche. Mais la droite n’est pas très différente. On se souviendra de l’animosité de M. Sarkozy qui avait commencé comme colleur d’affiche durant sa jeunesse et s’était hissé à la force du poignet et de ses convictions au plus haut niveau de l’UMP et de l’Etat et qui voyait d’un mauvais œil les parachutés de dernière minute.

Et pourtant, c’est à nouveau ici qu’il faut décaler le regard pour remarquer que cette insistance sur l’impératif du militantisme ne concerne pas tout le monde : pas les candidats d’ouverture médiatique (journalistes, sportifs…) ou autres personnalités. On n’a jamais reproché à Francis Delperée, éminent constitutionaliste et sénateur Cdh, de ne pas avoir été coller des affiches avant de rallier tardivement le parti.

On entend très peu (pour ne pas dire pas du tout) ce type de commentaires envers les candidats noirs, albanais, polonais ou bulgares. Apparemment, seules certaines communautés sont présentement visées par ce type de questionnement inquisiteur, ne soyons pas dupes : les Méditerranéens occidentaux et orientaux très spécifiquement.

Faudrait-il donc y voir une nouvelle forme très euphémisée de discrimination envers certains individus issus de ces communautés ?

En élargissant la focale, il convient impérativement de s’interroger plus profondément sur la notion de militance. Des gens comme Hassan Aydin, Abdeljalil El-Abbadi, Said Naji pour le PS, mais encore Hajib el-Hajjaji pour Ecolo, et pour ne citer qu’eux, sont des gens de terrain qui militent au sein de toutes sortes d’associations culturelles, de jeunesse ou encore cultuelles depuis de nombreuses années, leur donnant une connaissance en profondeur de la situation particulière de leurs communautés d’origine, mais aussi des publics des différentes associations majoritaires qu’ils côtoient aux travers de leurs activités transversales.

Leurs succès électoraux ne peuvent s’expliquer autrement, surtout si l’on compare leurs scores personnels à d’autres candidats de la diversité, inconnus au bataillon des activistes de terrain (par exemple Bayram Kuz au Cdh qui ne doit son score qu’à son métier de médecin, les illustres inconnus de la liste du MR (Ugur Kandemir, Farjad Talukder), ou encore Aline Kitete au PS pour ne citer qu’eux).

La question légitime qui doit être adressée aux partis politiques de tous bords consiste à s’interroger sur la façon dont leurs structures politiques peuvent articuler – sans récupérer – les engagements profondément militants de leurs membres/candidats au sein de structures associatives non partisanes ? Et reconnaître que ces gens ont sacrifié une bonne partie de leur vie personnelle, au travers du volontariat, pour le développement et le bien-être de leurs communautés d’origine (et, par voie de conséquence, pour le bien-être de l’ensemble de la population). C’est un militantisme qui vaut bien plus, à mes yeux en tous cas, que de tailler la bavette sur le trottoir du Floréal en se persuadant d’avoir changé le monde.

Car c’est aussi là la force du PTB+ : un vrai travail de terrain, porte à porte, pour se faire connaître et connaître les situations désespérées d’une bonne partie de notre population. Un véritable  militantisme que le PS a déserté depuis longtemps, en particulier dans les « quartiers de la diversité » (ou, plus prosaïquement, défavorisés), où ce sont les associations culturelles qui ont été amenées à occuper le vide laissé par le délitement de l’encadrement politique et social structuré de la part de partis comme le PS, ou le PC et le PSC à l’époque, ainsi que de leurs organisations satellites, qui avaient longtemps rempli ce rôle.

Il est dès lors un peu fort de café de reprocher à certains candidats de la diversité un manque de militance au sein de leur formation politique, alors qu’ils ont à leur compteur beaucoup plus d’heures de militance et d’activisme que de nombreux « militants traditionnels ».

Autre élément à ajouter au tableau, qui me permettra de rebondir vers le dernier point de mon analyse concernant la laïcité : la configuration particulière des partis traditionnels en Belgique (PS, Cdh, MR et Ecolo) qui, en elle-même, peut être un frein à un certain type de militantisme, tout en expliquant certaines déconnections idéologiques et philosophiques.

Une autre candidate PS de la diversité, Duygu Celik, qui avait elle-même mené une campagne communautaire auprès des alévis de Verviers en particulier, s’est fendue de reproches sur Facebook à l’encontre de « certains élus qui rouleraient en 4x4 mais voileraient leurs femmes », ultime outrage à la laïcité.

On ne manquera pas de faire remarquer à Mme Celik que son public cible électoral (les alévis et les ultra-laïcards turcs de Verviers, tous respectables qu’ils fussent) est une minorité au sein de la minorité. Ayant choisi son créneau, elle aurait dû être plus raisonnable en matière d’attentes personnelles – bien qu’elle termine avec un score tout à fait honorable de +/- 500 voix de préférences, en progression par rapport à 2006. Cela lui aurait évité quelques aigreurs d’estomac et l’aurait rendue plus lucide.

En effet, le problème ce n’est pas tant que certains candidats socialistes aient une éthique de vie plus conservatrice, c’est qu’il manque sur l’échiquier politique belge une formation politique de gauche chrétienne ou confessionnelle qui permettrait de faire le pont entre un progressisme social d’une part et un certain conservatisme en matière d’éthique de vie personnelle/collective. Une formation de gauche chrétienne qui se serait organisée autour d’un axe social fort auquel s’ajouterait une dimension éthique particulière, mais qui serait différente et indépendante du Cdh, organisé originellement, en tant que PSC, sur une base confessionnelle qui rassemble des individus en provenance de l’ensemble du spectre politique (et donc oscille entre la gauche modérée et la droite +/- modérée en fonction des rapports de force internes au sein du parti).

Dès lors, une telle formation fait particulièrement défaut, qui répondrait plus explicitement aux besoins de nombreux musulmans pratiquant qui se sentent proches de la gauche pour différentes raisons (conditions diasporiques, statut social…) sans vouloir pour autant remiser dans un placard laïc leurs aspirations éthiques et spirituelles.

Le Cdh a paru un temps fournir cette ouverture, mais le déplacement croissant du centre de gravité de ce parti vers la droite pourrait mettre cette dernière en danger. En effet, le seul fait de partager quelques valeurs éthiques dans un parti qui hésite toujours entre la revendication exclusiviste de ses racines chrétiennes et un œcuménisme éthique sans véritable horizon ne suffit pas à compenser les impératifs en matière de mobilité sociale et professionnelle rencontrés par de très nombreux musulmans.

Quant aux PS et Ecolo, ils ont toujours été considérés quelque part comme des havres de substitution, faute de mieux, par les musulmans les plus impliqués dans la vie de leur communauté, disons les pratiquants réguliers – soit 10% de la communauté musulmane.

Pour l’immense majorité, la question ne se pose même pas, ce qui démontre a contrario qu’avoir la foi, c’est bien, mais avoir à manger tous les jours dans son assiette, c’est beaucoup mieux. Si l’on doit choisir entre le respect intégral de ses convictions et être dans un désert politique, ou mettre celles-ci de côté et s’investir pleinement dans le champ politique pour changer sa situation, le choix est relativement vite fait.

Contrairement à une certaine doxa, les musulmans sont donc tout à fait en mesure de faire une césure entre politique et foi, entre leurs aspirations sociales, professionnelles, en matière d’accès au logement, à l’éducation, à la santé, aux services… et leurs aspirations spirituelles éventuelles. Mme Celik devrait être rassurée quant à l’avenir. Nous traversons juste une phase de transition et d’ajustement. Nul besoin de crier au loup.

L’absence de l’hypothétique parti de gauche chrétienne que je mentionnais ci-dessus, s’est révélée en vérité être une opportunité supplémentaire de sécularisation des communautés musulmanes, amenant de facto leurs candidats à « penser global » pour le bien de l’ensemble des composantes de la communauté urbaine dans laquelle ils inscrivent leur action politique.

Dès lors, la question n’est pas de savoir si certains candidats voileraient leurs femmes ou pas, mais si un jour la gauche fera sa révolution copernicienne et sera en mesure d’articuler un véritable progressisme social, collectif et universaliste, et la possibilité d’un certain conservatisme en matière d’éthique individuelle ?

Pour des raisons historiques évidentes, ces deux éléments ont toujours paru s’opposer, en particulier au sein du PS ou de la gauche de la gauche. Mais dans un monde globalisé transbahutant d’un point à l’autre de la planète des individus porteurs de traditions et d’engagements politiques très différents, ayant historiquement réussi d’autres formes de cristallisation idéologiques sociales-conservatrices, les formations politiques traditionnelles n’auront d’autre choix que de revoir leur copie et s’adapter si elles veulent parler à ces nouveaux publics revendiquant une participation active au sein du champ politique de leur lieu de résidence.

La question de la militance des candidats de la diversité, telle qu’elle est posée aujourd’hui, révèle en négatif les difficultés, pour ne pas dire l’indigence, des partis de gauche à penser le progrès social, l’égalité, mais aussi la laïcité, au sein de sociétés profondément plurielles – idéologiquement, culturellement, théologiquement, socialement, politiquement. Le poids des traditions n’est pas toujours là où on l’attendrait le plus.

4) La laïcité

Ce qui m’amène donc à la question de la laïcité.

Petit rappel : la Belgique est certes un Etat laïc, mais pas un Etat laïc à la française : la forme spécifique de laïcité belge se réalise au travers d’un Etat neutre qui se veut à équidistance de toutes les religions. L’Etat à cependant la possibilité de soutenir matériellement les religions reconnues, et ce en vue de garantir activement la liberté de conscience, de religion et de culte. C’est à ce titre d’ailleurs que la laïcité philosophique et ses « Maisons de la laïcité » reçoivent un financement identique aux religions officiellement reconnues. C’est au titre de cette neutralité également que l’Abbé Daens pouvait siéger au Parlement en soutane (cela serait-il encore possible aujourd’hui ?).

Petite précision : il est tout à fait légitime que des formations politiques, des groupes de citoyens ou encore des associations soient en désaccord avec le principe de neutralité tel qu’il est inscrit dans notre constitution et choisissent de mener un combat politique pour que la laïcité belge se rapproche de la laïcité française qui correspondrait mieux à leurs aspirations. C’est une question éminemment délicate car elle touche en profondeur à l’organisation même de l’Etat et à une tradition bicentenaire de gestion relativement constructive et pragmatique du rapport entre Etat et Eglises/religions reconnues.

Mais cela relève tout à fait du débat politique et les citoyens devraient pouvoir se saisir de cette question et en débattre. Symétriquement, il est absolument légitime de vouloir conserver le modèle belge tel qu’il est sans apparaître comme un has been ultraconservateur.

Ceci étant, je crois que l’on peut affirmer sans crainte que les conditions d’un débat mûr et informé sont très loin d’être en place quand on constate la confusion totale qui règne au sein des élites politiques elles-mêmes, bien souvent incapables de faire la différence entre neutralité, laïcité, sphère publique et sphère privée, espace public et espace privé, visibilité du religieux dans l’espace et la sphère publics…

Et je suis d’autant plus méfiant quand le discours sur la laïcité est récupéré par certains pour des objectifs bien moins avouables. Mme Le Pen, catholique conservatrice, s’est repeinte en passionaria de la laïcité en particulier quand il s’agit de dénoncer les cantines halal, le port du foulard ou la prière musulmane sur l’espace public – mais ne s’est jamais prononcée (pas un mot !) sur les comités anti-avortement qui obstruent l’espace public et empêchent des femmes d’avoir accès à l’IVG pour des motifs religieux.

La laïcité revendiquée soudainement par le MR verviétois (mais depuis plusieurs années par l’inénarrable Daniel Bacquelaine & co.) me paraît particulièrement suspecte, d’autant qu’elle se focalise exclusivement sur les communautés musulmanes.

Test de vérité : si le MR est sincère quant à ses revendications laïques, je lui recommande de supprimer toutes subventions aux cultes par la ville de Verviers, en particulier la dotation de 14 000€ par an attribuée à la Maison de la laïcité à Verviers. La laïcité à la française, c’est la non intervention, y compris financière, de l’Etat dans les affaires du culte. Cela fera des économies pour les communes et, pour une fois, ce ne seront pas les musulmans qui paieront la facture. Mais je suppose qu’il s’agit là d’un vœu pieux.

Autre élément, il est particulièrement piquant que le MR, nouveau champion de la laïcité, porte au pinacle un bourgmestre (M. Elsen), membre éminent du groupe parlementaire Démocratie Chrétienne (DC).

Bien sûr, M. Elsen ne porte pas de signe ostentatoire de son allégeance spirituelle, ni de son appartenance à un groupe qui n’est certes pas un des plus progressistes au sein du Cdh et dont un certains membres se sont systématiquement opposés à la visibilité piétiste revendiquée par des musulmanes (la tête de liste Cdh à Schaerbeek refusant que Mme Özdemir siège en tant qu’échevine avec son foulard ; affaires d’enseignantes souhaitant porter le voile à Charleroi ; cas de Layla Azzouzi à Verviers…).

Cela fait un fameux « track record » qui, bien entendu, n’a RIEN, mais strictement RIEN, à voir avec les convictions religieuses des membres de Démocratie Chrétienne.

La bonne blague ! La superbe hypocrisie de cette laïcité de façade ! Pas de signe extérieur, mais toute l’action politique est articulée en fonction d’une éthique religieuse particulière. Je suppose que M. Breuwer va monter au créneau pour dénoncer cet état de fait et demander à M. Elsen qu’il renonce à son appartenance à Démocratie Chrétienne en tant que bourgmestre sensé représenter l’ensemble des citoyens, moi y compris.

Que l’on ne déforme pas mes propos : un groupe comme DC est tout à fait légitime selon moi car il représente un cluster particulier de la société qui a droit à sa représentation politique. Le problème, c’est quand ça ce fait « en dessous de la table », sans ostentation, l’air de ne pas y toucher, alors que l’impact politique est réel.

C’est pour moi un véritable problème de démocratie, d’honnêteté et de laïcité, car beaucoup de gens ont élu M. Elsen sans connaître son appartenance à DC, un groupe semi-public, ce qui dépasse largement le cadre des convictions personnelles pour lesquelles le droit à la protection de la vie privée doit être défendu sans concession. Mais quand on choisit de rejoindre un groupe parlementaire organisé sur base confessionnelle, cela relève du domaine public et les citoyens doivent être informés avant de faire leur choix. M. Elsen ne l’a jamais mentionné dans ses campagnes électorales.

Qui trompe qui ? Une Layla Azzouzi qui choisit courageusement de porter le foulard et d’afficher son affiliation religieuse avant les élections – espérant être sur les listes à l’époque – pour ne pas tromper l’électeur et le laisser choisir en âme et conscience ou un Marc Elsen qui fait profil bas sur son affiliation religieuse et empêche par là-même que l’électeur fasse un choix informé ?

En vérité,  je préfère quand on affiche la couleur (foulard, croix, cravate rouge, pins de la morale laïque ou symboles franc-maçons…). Au moins, on sait à qui on a affaire et si l’action publique n’est pas neutre, au moins, on sait de quel côté il faudrait chercher le/la responsable.

Quelle sera la position laïque du MR sur la question ? M. Breuwer et M. Voisin, nous attendons des actes!

En l’absence de réaction, cela démontrera une fois de plus que la défense de la laïcité est à géométrie variable et tend à épouser les contours d’un rejet de la visibilité de l’islam dans l’espace/la sphère publics, voire à devenir le cache-sexe d’un racisme anti-musulman.

Le débat au sein du PS, poussé par Murielle Targnion, elle-même fragilisée par sa « tôle » électorale tout en voulant assurer son leadership sur le PS local alors qu’elle est loin de faire l’unanimité, risque de bien de déraper sur des lignes similaires. D’autant qu’on sait que sont visés les supposés musulmans de liste (Aydin, Naji, el-Abbadi).

Comme je l’ai dit ci-dessus, la question de la laïcité est en soi une question éminemment politique et le PS est en droit d’en faire un de ses chevaux de bataille si bon lui semble, mais faire d’un prétendu relâchement des valeurs laïques au sein du PS la cause de sa perte de +/- 7% de votes, c’est faire une grave erreur d’analyse pour différentes raisons que nous avons mentionnées supra.

S’entêter dans cette voie va d’avantage fragiliser la base électorale du PS, même si cela galvanisera peut-être quelques militants. Le PS de Verviers, c’est au mieux quelques centaines d’adhérents (sûrement moins, les chiffres ne sont pas publics), ce ne sont pas eux qui font la victoire du PS, mais le fait que le PS porte les revendications sociales d’une partie importante de la population verviétoise qui réclame plus de justice sociale, moins d’austérité, et surtout de pouvoir tendre vers un horizon un peu meilleur que la dèche et le marasme grandissant dans laquelle s’enfonce la population verviétoise du fait des conditions macro-économiques actuelles.

Tous les sondages sur les préoccupations des électeurs en Europe démontrent que les priorités des gens sont l’emploi, le logement, l’éducation, les soins de santé. Les questions relatives à la laïcité (au travers de la lutte contre l’extrémisme) n’arrivent qu’en 22ème position des principales préoccupations des Belges.

Dans ce contexte, le recentrage sur la laïcité au sein du PS apparaît surtout comme une diversion de la part d’un leadership socialiste local qui n’a aucune vision cohérente pour attaquer de front les problématiques mentionnées ci-dessus, car ces enjeux sont éminemment liés au contexte national et européen sur lesquels les sociaux-démocrates ont depuis longtemps abandonné toute velléités d’action.

Qu’attendre du parti dont est issu un Premier Ministre qui a accepté de cornaquer un gouvernement qui aura saigné les finances publiques de 13 milliards d’Euro (520 milliards de FB !!!) en 1 an pour respecter une règle d’or que l’Allemagne elle-même n’a jamais respectée. Le plus gros effort financier jamais fait par la Belgique et, bien sûr, payé essentiellement par les 99% les moins riches. Dont un bon quart sont des électeurs du PS. Je dirais qu’il est au contraire très étonnant que le PS n’ait pas perdu encore plus de plumes !

Un recentrage sur la laïcité pour faire quoi, au fait ? Exiger de MM. Aydin, Naji et el-Abbadi qu’ils prêtent un serment laïc, qu’ils fassent leur fête laïque, qu’ils promettent de venir à toutes les conférences de la Maison de la laïcité, qu’ils ne se promènent plus en ville avec leurs femmes en foulard, qu’ils mangent des sandwichs au jambon aux réunions de parti, qu’ils promettent d’être gentils avec Mme Celik ? Comme d’habitude, ce genre de débat interne va surtout servir à polariser les oppositions pour déboucher sur un pet de souris et des mesures à deux francs six sous.

Au lieu de s’enticher d’un recentrage nébuleux sur la laïcité, Mme Targnion ferait mieux de recentrer le PS local sur les valeurs de progrès social et d’émancipation individuelle et collective, ce qui passe par l’éducation, l’accès au soin de santé, aux loisirs, à un logement décent et à un emploi de qualité et rémunéré convenablement. Un vrai programme de gauche. Mais c’est bien plus difficile que de se complaire dans un nombrilisme laïcisant.

5) Et pour la suite ?

En espérant que le PS verviétois ne tombera pas dans une sombre période de futiles débats internes, son rejet dans l’opposition n’est pas une mauvaise chose en vérité. C’est l’occasion idéale pour développer avec Ecolo une vraie alternative à gauche, d’autant qu’il est raisonnable de penser que la coalition MR-Cdh va probablement glisser vers la droite plutôt que de se contenter du centre-droit. D’autant que le Parti Populaire a récupéré non seulement le siège du FN, mais aussi une bonne partie de ses positions politiques – légèrement euphémisées.

En effet, un pôle de gauche fort à Verviers sera d’autant plus nécessaire que le programme du MR est d’une vacuité intense au-delà des fanfaronnades sur la création d’emplois. L’essentiel tourne autour de la politique sécuritaire et de la lutte contre la fraude sociale (en clair : pourchasser les pauvres et foutre la paix aux fraudeurs nantis).

En bref, maintenant que le MR va diriger le CPAS, on peut s’attendre à une saignée à blanc qui va frapper les plus fragilisés d’entre nous au travers d’une pléthore d’exclusions du bénéfice des allocations sociales à la moindre occasion. Car, objectivement, quels sont les moyens dont dispose la commune en matière de création d’emplois ? Va-t-elle imposer au patron du futur centre commercial d’embaucher un certain quota de Verviétois ? On demande à voir.

Avant l’été, le MR national, notamment par Daniel Bacquelaine, avait répété à l’envi qu’il fallait mettre le paquet sur les emplois et que cela impliquait impérativement la lutte contre les discriminations. Depuis, le MR n’a rien proposé en ce sens. Du vent, comme toujours (rendons lui justice, il n’est pas le seul sur cette question).

Or le niveau communal a pourtant des moyens d’action en la matière : la Ville pourrait imposer des clauses de diversité pour toutes ses adjudications et marchés publics. Une entreprise souhaitant rentrer une offre devrait impérativement démontrer qu’elle a une véritable politique de diversité en interne, des PME aux multinationales.

Paradis du capitalisme et de la libre entreprise, la mairie conservatrice de Londres n’a pourtant pas hésité à imposer cette pratique pour toutes les entreprises prestataires des JO 2012. Pas de politique de diversité effective ? Interdit de faire des offres. Des analyses sérieuses ont démontré que Londres avait pu atteindre son succès et être prête à temps grâce à cette politique volontariste envers les entreprises.

Le MR va-t-il choisir de s’engager sur cette voie ? Chacun admettra que l'on puisse avoir des raisons d'en douter.

Le Cdh parviendra-t-il à rééquilibrer les risques de dérive négative et à développer des pistes de solutions crédibles qui ne soient stigmatisantes pour aucune des communautés qui composent l’ensemble de la communauté urbaine verviétoise ? L'opposition se montrera-t-elle à la hauteur des défis?

Rendez-vous d’ici quelques mois pour les premiers bilans.

M. Privot

22.10.12

Elections communales à Verviers – éléments d’analyse – Deuxième partie


La tentative d’analyse que nous avons proposée à propos des résultats des partis politiques lors des dernières élections communales à Verviers ne suffit pas à rendre compte de l’ensemble des éléments que ces dernières ont mis à jour. Je propose ici quelques points supplémentaires.

2) Les résultats des candidats

Je vais à nouveau me focaliser sur la liste du PS, non pas que cela tourne à l’obsession envers ce parti, mais c’est cette dernière qui a cristallisé le plus grand nombre d’enjeux, en terme de diversité comme je l’ai montré dans ma première note, mais aussi en terme de mobilité des candidats. Et c’est également la liste qui fut le plus scrutée et disputée par les autres partis eux-mêmes vu son originalité et son ouverture. Les précurseurs n’ont jamais eu la vie facile – c’est un truisme.

Commençons tout d’abord par fermer des portes : si le PS a perdu des voix, ce n’est pas à cause de la diversité de sa liste.

En effet, lorsque l’on analyse le score individuel des candidats PS, chacun pourra constater que, par rapport aux élections communales de 2006, à une ou deux exceptions près, ce sont les seuls candidats de la diversité qui ont sensiblement améliorés leurs scores personnels en terme de voix de préférence.

Les caciques du PS local n’ont pas manqué de le relever également, engageant une féroce bataille en interne sur qui aurait fait ou non proprement son travail de « reach out » envers les électeurs. S’il est toujours bon de se poser de telles questions à la suite d’une défaite, les réponses qu’on y apporte peuvent avoir des implications très différentes (il est par ailleurs étonnant que l’incompétence personnelle ne soit jamais évoquée, et pourtant il y a des exemples !).

Dès lors, ma conclusion : s’il était vrai que la diversité de la liste eût posé problème à l’électeur blanc moyen du PS, les candidats de la diversité n’auraient pas engrangés de tels scores personnels et auraient été désavoués purement et simplement – or ce n’est pas le cas. Y compris pour Hasan Aydin (1600 voix) et Malik Ben Achour (1150 voix) qui avaient finalement obtenus des postes d’échevins suite à des remaniements internes au cours du présent mandat.

Ces deux derniers ont donc eu l’occasion, comme les autres échevins, d’être confrontés à l’usure du pouvoir (fût-elle légère), aux nécessités des compromis qui peuvent aliéner une base électorale spécifique, à la nécessité de « penser global », à savoir prendre en compte tous les citoyens et pas seulement son petit groupe d’électeurs… Or au bout d’un tel défi, ils sortent grandis avec une amélioration moyenne de leur score personnel de +/- 200%, largement au-delà des mille voix de préférence – sachant qu’il suffit d’un peu plus de 300 voix pour être élu sur certaines listes.

Un phénomène similaire est constaté pour Hajib El-Hajjaji, mis en ordre non éligible chez Ecolo à la Province, mais qui a fait le meilleur score de la liste avec 1600 voix de préférence.

De tels scores ne peuvent s’expliquer que parce que ces jeunes candidats ont pu largement dépasser le cercle communautaire de base qui leur avait mis le pied à l’étrier en 2006 et s’adresser à l’ensemble des communautés et publics présents sur la commune.

D’autres candidat(e)s de la diversité ont également connu des progressions, mais de moindre ampleur, qui laissent à penser que leur électorat repose encore essentiellement sur leur communauté d’origine, même s’ils arrivent probablement à grappiller des voix dans d’autres communautés du fait de leur exposition publique depuis 2006.

En comparaison, à part quelques défaites cuisantes (Desama, Targnion, Dupuis), les candidats de la communauté majoritaire restent plus ou moins stables en terme de voix de préférences ou connaissent un léger tassement. Cela prouve qu’ils n’ont pas été en mesure d’aller chercher des électeurs au-delà de leurs cercles de supporters habituels (famille, amis, collègues, militants).

Il existe certainement des statistiques à ce propos (appel aux lecteurs : si vous avez des infos sur de telles études, notifiez-les en commentaire svp), mais je suppose qu’en dessous de 500 voix de préférence, les candidats se reposent sur une base communautaire quelle qu’elle soit (quartier, village, famille, amis des amis…). Au-delà de tels scores, cela démontrerait sans aucun doute la capacité des candidats à aller chercher des soutiens et à convaincre des électeurs bien au-delà de leurs 2 ou 3 premiers cercles de connaissances pour utiliser une analogie type « Linked In ».

En bref, on peut constater chez les candidats de la diversité, en particulier Aydin, Ben Achour et El-Hajjaji, l’avantage indéniable de maîtriser des compétences interculturelles : la capacité d’adaptation à différents auditoires, aux différences culturelles, à comprendre et gérer des référents culturels variés, relevant tant de la communauté majoritaire que des communautés minoritaires. Et ce n’est pas étonnant ! Etant sans cesse soumis à l’injonction contradictoire de leurs partis respectifs d’être le relais avec leurs communautés d’origine tout en ne pouvant jamais agir au nom de ces dernières sous peine d’être taxés de communautaristes, ils n’ont d’autre choix que de s’ouvrir véritablement à la diversité sociale et culturelle de la communauté urbaine verviétoise et de développer un discours universaliste et inclusif au sein duquel tout un chacun peut-être amené à se reconnaître à des degrés divers, mais où se conjoignent plus ou moins avec succès le respect des perspectives minoritaires et majoritaires.

Les candidats de la communauté majoritaire, de par leur position au sein de la communauté/classe dominante, n’ont jamais senti le besoin/la pression de développer de telles compétences et de revoir leurs positions. Ils se sont contentés d’un discours majoritaire ethnocentriste soutenant juste la diversité folklorique, aux marges de la société, sans jamais en faire une question nodale de leur analyse et de leur action politiques.

Bien moins stupides et grégaires qu’on aimerait le faire croire, il n’est donc pas étonnant que les électeurs ne s’y soient pas trompés : ils ont plébiscités ces candidats de la diversité en particulier.

Au lieu de chercher des excuses du côté du manque de respect envers les valeurs laïques (nous y reviendrons plus tard) pour justifier sa défaite, le PS ferait mieux de remercier ses candidats de la diversité pour lui avoir évité une bérézina de première grandeur, même si le manque de lisibilité du PS sur la diversité au cours des dernières semaines de la campagne en a sans aucun doute refroidi plus d’un.

Les raisons – entre autres – seraient plutôt à chercher selon moi sur l’incapacité des candidats socialistes de la communauté majoritaire à sortir de leur propre isolement communautariste blanc et à s’adresser à l’ensemble de la population verviétoise, directement, sans avoir besoin de déléguer ce job aux seuls « candidats de la diversité ». Et leur tirer dans le dos par la suite s’ils font un excellent boulot, bien au-delà de leur communauté d’origine.

En conclusion, les résultats de ces candidats de la diversité constituent un plaidoyer vibrant pour le développement des compétences interculturelles pour toute la population et ce, dès le plus jeune âge, en vue de pouvoir maîtriser la complexité grandissante d’une société plurielle, libérale et démocratique – en particulier au sein d’une micro « ville-monde » comme Verviers.

Espérons que le prochain(e) échevin(e) de l’éducation en prendra bonne note, car cette question dépasse largement les clivages politiques. Il s’agit de notre avenir à tous et en particulier celui de nos enfants. Et ça cadre parfaitement dans les compétences communales. Pas d’excuses pour l’inaction !

A suivre....

Voir notre analyse des questions de militantisme et de laïcité

21.10.12

Elections communales à Verviers – éléments d’analyse – Première partie


La poussière des négociations tumultueuses étant quelque peu retombée suite à un accord MR-CdH à Verviers portant M. Elsen comme bourgmestre, il est impératif de donner une lecture cohérente de cette recomposition des votes, de ses causes potentielles et de ses probables implications. Comme toujours, la lecture des résultats est un enjeu idéologique de première importance. Dans le cas verviétois, la droite a marqué des points et a réussi à imposer son discours y compris au sein d’une gauche plus que jamais en perte de repères.

D’où l’urgence d’une déconstruction-reconstruction point par point à partager sans modération. L’avenir politique verviétois des prochaines années en dépend.

1) Les résultats des listes

Comme tout le monde a pu le constater, les deux faits marquant ont été la baisse du PS (- de 8 % des votes), ce dernier restant néanmoins le premier parti verviétois avec près de 29% des suffrages, et la montée du MR (+ 7% des votes), ce dernier demeurant le 3ème parti avec près de 24%.

Tout de suite, le MR et à sa suite nombre de socialistes, ce qui est extrêmement préoccupant, ont attribué cette chute du PS à la grande diversité de sa liste, un grand nombre de candidats de toutes origines ayant été mis en avant. La réalité : 16 sur 37, bien moins que la moitié de la liste et j’y compte les candidats d’origine italienne et grecque.

On est loin d’une liste totalement bigarrée. Mais il est vrai qu’elle était bien plus diverse en comparaison des autres listes : 7/37 chez Ecolo en comptant large ; 6/37 au CdH dont aucun en position éligible à moins d’un score exceptionnel peu probable d’entrée de jeu ; et 6/37 au MR, avec la même réserve que pour le Cdh. Un casting parfait pour ramasser quelques voix et s’éviter les problèmes – avec pour résultat inévitable que les élus Cdh et MR sont blancs, sans aucune exception. Bravo pour la diversité !

L’effort du PS était donc méritoire et c’est ce qui l’a probablement sauvé d’une  « tôle » encore plus impressionnante, non pas liée à des problèmes de diversité, de laïcité ou de pauvreté (comme certains essayent de le vendre), mais à l’usure du pouvoir (12 ans à la tête de la commune) et à une gestion parfois très autocratique.

Autre preuve que ce n’est pas la diversité de la liste qui aurait détourné les électeurs potentiels du PS, c’est que tous les candidats de la diversité ont sensiblement augmenté leurs voix de préférences (avec quelques scores remarquables tels que Malik Ben Achour (+ 200% par rapport à 2006), résultats d’un vrai travail de terrain, tandis que les candidats de la communauté majoritaire, à l’exception de l’un ou l’autre d’entre eux, ont soit stagné, soit perdu un nombre considérable de voix, comme le Bourgmestre sortant, Claude Desama, sa dauphine, Murielle Targnion ou encore, Michèle Dupuis. Preuve s’il en est que, au travers cette dernière, le « white feminism » vintage dénonçant le port du foulard à renfort de grands chapeaux ne fait plus recette. Peut-être enfin l’occasion d’ouvrir une vraie discussion sur un féminisme plus universel et en phase avec les réalités de son époque et la multiplicité de ses voix d’expression ? A suivre. (Je reviendrai dans un prochain billet sur les résultats de candidats eux-mêmes).

Mais revenons aux listes : beaucoup se sont laissés abusés par le fait que la diminution du PS correspond presque symétriquement à la montée du MR, certains y lisant l’abandon du PS par certains de ses supporters à cause de sa trop grande diversité au bénéfice du MR qui a tenu un discours particulièrement dur sur le sujet.

Dur, mais sans ambiguïté, contrairement aux 3 autres partis qui ont été particulièrement « mous du genoux » sur la question : le Cdh éjectant Hajib el-Hajjaji et Layla Azzouzi sur l’affaire du foulard tout en clamant son amour de la diversité ; le PS faisant signer à ses candidats en stoumeling une charte sur les valeurs laïques (donc contre le port du foulard) tout en étant très ambigu dans son discours officiels, et Ecolo se contentant comme à son habitude d’un « non mais oui » (ou peut-être est-ce l’inverse), mais en prenant soin de ne pas aligner Hajib el-Hajjaji (désormais passé chez les Verts) comme candidats aux communales. Il est évident que nombre d’électeurs sensibles à cette question de la diversité n’ont pas eu l’impression de s’y retrouver face à cet alignement collectif sur le plus petit dénominateur commun : ne pas effrayer le brave électeur blanc verviétois, pourtant aujourd’hui en minorité comme nous le verrons ci-dessous. Du grand calcul stratégique en vérité !

Quant au MR verviétois, sous la houlette de l’éternel opportuniste Freddy Breuwer qui a passé sa vie politique à changer de couleur avant de se stabiliser quelque peu au MR, ainsi que de Guillaume Voisin, le roquet-mascotte de la droite sectaire, il a appliqué sans aucun remords la méthode Guéant/Sarkozy : total virage vers la droite dure, bête et méchante : anti-pauvre, anti-immigrant, ultra-laïcarde, anti-diversité, mais ultra-sécuritaire. Si cela a réussi à Sarkozy en 2007, rappelons que cela lui a été fatal en 2012. Attendons donc 2018 pour le MR.

Sans aucun doute, reconnaissons que le calcul a été payant : le MR a bien ciblé son électorat : les Blancs qui trouvent que leur ville est trop bigarrée, trop pauvre, trop diverse et qui, sans se l’avouer, se rendent compte que les beaux jours de la main mise sur tous les leviers du pouvoir touchent à leur fin et se lancent dès lors dans une bataille de tranchées pour préserver ce qu’ils peuvent de leur privilèges de Blancs. Jusque là majoritaires.

Et oui, Verviers, la ville au 111+ nationalités, « ville monde » en dépit de sa petite taille (+/- 55 000 habitants), quand on y met bout à bout toutes les communautés arrivées depuis les années cinquante (Italiens, Polonais, Grecs, Espagnols, Marocains, Turcs, Hongrois, Allemands, Bulgares…) est une « minority-majority city ». Une ville où les communautés minoritaires constituent en vérité la majorité de la population. Or, si le Bourgmestre sortant M. Desama reconnaît lui même que Verviers est une ville multiculturelle depuis plus de 30 ans (60 ans en vérité), les leviers du pouvoir politique pour ne parler que de lui et de l’administration communale sont presque exclusivement aux mains de la communauté majoritaire (i.e. blanche, en vérité maintenant en minorité à Verviers). 

L’heure de repartager le gâteau, le pouvoir, est enfin arrivée, mais les Blancs – dans leur incapacité à remettre en question leurs privilèges et leur position dominante au sein d’une société plurielle, libérale et démocratique – freinent des quatre fers et se réfugient dans un vote véritablement communautariste. Communautariste blanc. Le pire, car il s’ignore, angle mort de la communauté majoritaire ayant l’habitude d’édicter la norme et de circonscrire les champs du dicible et de l’indicible, du pensable et de l’impensable.


Bien que pourfendant à grand renfort de fanfaronnades le communautarisme supposé des communautés minoritaires, le MR a axé toute sa campagne sur le communautarisme blanc, suivi de près par un Cdh en voie de droitisation également sous l’impulsion de M. Wathelet et de ses proches (avec la bénédiction de M. Lutgen, dont la radicalité du centre dévie de plus en plus vers la droite).

Il est évident que ce communautarisme blanc et cette droitisation de plus en plus affirmée tant du MR que du Cdh aura des conséquences en internes : les véritables libéraux démocrates, hommes et femmes de bon sens qui comprennent l’évolution de leur société même si les outils qu’ils souhaiteraient mettre en place pour la gérer diffèrent de ceux de la gauche, se trouvent désormais en minorité et muselés au sein du MR. Cela ne manquera pas de créer des tensions, car la droitisation dure (pour ne pas dire « extrême-droitisation ») grandissante d’une droite raisonnable et démocratique est un cul de sac politique qui ne s’avère payant qu’un temps avant de renforcer la véritable extrême droite comme cela a été brillamment démontré en France. Idem pour le Cdh où la gauche chrétienne est en train de voir ses marges de manœuvres de plus en plus limitées, au détriment même des valeurs et de l’éthique qui l’animent.

Dans un tel contexte, on peut douter de la théorie du report de voix automatiques du PS vers le MR. Certes, comme je l’ai expliqué ci-dessus, le message du MR a pu séduire quelques Blancs traumatisés par la perte du pouvoir et des privilèges causée par la nécessaire redistribution de ceux-ci au sein d’une société plurielle. Il y a toujours eu à gauche des progressistes socialement parlant, mais complètement arriérés en matière de diversité : la gauche couscous-djembé qui aime s’encanailler à boire du thé à la menthe lors des fêtes de la diversité, mais ne supportera pas la vue du moindre foulard, et encore moins qu’une « foulardée » puisse réclamer son droit à l’égalité et au progrès. A la place du PS, je ne les regretterais pas. Bon débarras. Les mêmes existent chez Ecolo, ne l’oublions pas non plus.

Quand on élargit l’angle d’analyse, le PTB+ (gauche radicale) a récolté un peu plus de 2% des votes alors qu’une liste communiste ne s’était plus présentée depuis longtemps. Sans aucun doute, ces voix viennent des déçus du PS et peut-être d’Ecolo, qui ont abandonné depuis longtemps une véritable approche de gauche un peu moins prompte aux compromissions avec les intérêts des puissants.

Plus marquante est l’augmentation du % des abstentions (+ 6% à presque 20%) et des votes blancs ou nuls (+ 0,5% à presque 8%). Or, contrairement à la doxa journalistique et politique qui voudraient que les déçus de la gauche passent vers la droite et l’extrême-droite, ces derniers ont tendance à grossir les rangs des abstentionnistes avant de se droitiser au terme d’un long processus.

Dès lors, au lieu de remettre en question sa politique de diversité prétendument responsable de son recul, le PS verviétois ferait mieux de s’interroger sur le pourquoi du progrès du PTB+ ainsi que de l’abstentionnisme et des votes nuls. Ayant présidé à un bureau de dépouillement, je peux confirmer qu’un nombre important de votes nuls interpellaient sur l’absence d’une véritable politique de gauche à Verviers.

Si Verviers compte, d’après certains chiffres, presque 25% de pauvres, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait une demande d’actions fortes. Certes, M. Desama a fait quelques sorties remarquables et courageuses dans la presse pour déconstruire les discours nauséeux sur la pauvreté, l’insécurité et l’immigration à Verviers entretenus par le MR (et une partie du Cdh), mais cela ne suffit pas à aider une partie importante de la population verviétoise qui se fait laminer par l’austérité actuelle – alors que la classe moyenne commence également à se rendre compte qu’elle se rapproche du bord du précipice.


Qu’en est-il dès lors de la gauche à Verviers ? Si l’on additionne les scores du PS, d’Ecolo et du PTB+, on arrive à +/- 40%. Le Cdh (27% des voix) conserve encore une aile gauche dont il est difficile de mesurer l’ampleur, mais il ne serait pas irréaliste de compter sur au moins 10/27 des voix du Cdh, ce qui laisserait espérer que le peuple de gauche est encore majoritaire à Verviers, mais pour combien de temps ? Et avec quelles conséquences ?



Mais une chose est sûre, la diversité de Verviers n'est ni un handicap, ni la cause de la perte de certains partis, mais une opportunité qu'il faut savoir saisir. Or, les trois partis qui ont perdu des voix (PS, Cdh et Ecolo), ont surtout démontré leur incapacité à saisir l'importance des enjeux de la transformation radicale du profil sociologique de Verviers au cours de ces 30-40 dernières années, à en tirer les conséquences et à développer des politiques progressistes, inclusives et sans ambiguïté pour répondre aux besoins et aux aspirations de cette nouvelle communauté urbaine émergente. Et ça finit par se payer cash.

A suivre...

Voir notre analyse des résultats des candidats (de la diversité)
Voir notre analyse des questions de militantisme et de laïcité

#2 : Claquer la bise, serrer la main - quand mon paradis dépend de la façon dont je te dis bonjour

Cette pratique, peu connue il y a encore une trentaine d’années au sein des communautés musulmanes, s’est répandue dans les milieux conserva...